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nous adresse le : « Connais-toi toi-même, » ce qui est une formule non moins expressive que le salut des amis entre eux : « Réjouis-toi ! (Χαῖρε.) Alors nous, à notre tour, nous disons au Dieu : TU ES, comme pour affirmer que la vraie, l’infaillible, la seule appellation qui lui convienne, et qui convienne à lui seul, c’est de déclarer « qu’il est[1]. » Le pontife expliquait ensuite au postulant que tous les êtres, la terre, la mer, les astres et l’homme lui-même, en tant qu’êtres visibles et corporels, n’avaient qu’une existence mobile, éphémère et qu’ils n’étaient pas en réalité, mais changeaient constamment pour naître et mourir sans cesse. Un seul être existe toujours et remplit l’éternité, c’est Dieu qui fait vivre toute chose de son souffle, mais qui réside aussi en lui-même. Voilà pourquoi Apollon dit à ses adorateurs : « Connais-toi toi-même. » Car le sage peut éveiller ce Dieu en lui-même, et si, ayant trouvé sa trace, il élève sa pensée vers ce Dieu inconnu et s’écrie en toute ferveur, en toute vénération et en toute foi : « Tu es ! » un éclair sillonne son âme et signale la présence du Dieu. Et c’est là le commencement de la sagesse.

— O très saint pontife, s’écriait l’Athénien ému, mais non convaincu, tu parles presque comme mon maître Platon, mais je voudrais en savoir plus qu’il ne m’en dit et plus que tu ne m’en dis toi-même. Dis-moi l’origine et la fin de l’âme, le secret de la vie et ce qui vient après la mort, dis-moi l’origine et la fin des Dieux eux-mêmes que l’on dit immortels !

— Songes-tu bien à ce que tu me demandes, imprudent ? répondait aussitôt le prophète. As-tu réfléchi aux dangers que tu courrais, si je pouvais te l’accorder ? As-tu oublié le sort de Sémélé, l’amante de Jupiter qui voulut posséder Zeus dans sa splendeur divine et qui mourut consumée par le feu céleste ? Souviens-toi d’Icare qui voulut suivre le char enflammé d’Apollon dans sa course et qui fut précipité dans la mer. Souviens-toi du chasseur Actéon qui voulut voir Artémis nue dans son bain et qui, changé en cerf par la déesse, devint la proie de ses chiens. Tel serait ton destin si tu pénétrais sans préparation dans les mystères défendus. Ne peux-tu vivre heureux par la vertu dans ta cité, sous la lumière d’Apollon et l’égide de Pallas ? Va combattre pour tes ancêtres et sache revivre dans

  1. Ce passage est emprunté à Plutarque, dans son traité : Sur le El du temple de Delphes, 17.