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pour la seconde fois sa parole inflexible. — De tout ce que renferment les limites de Cécrops — y compris les cavernes du divin Cithéron, — rien ne résistera… — Une forteresse de bois sera seule imprenable. — N’attends pas l’armée ennemie, tu lui feras face un jour… O divine Salamine, tu seras funeste au fils de la Femme[1] ! » On sait quel parti l’habile et intrépide Thémistocle sut tirer de cet oracle et comment les vaisseaux athéniens, en détruisant la flotte perse à Salamine, sauvèrent la Grèce. Ici l’histoire atteint la grandeur d’une tragédie d’Eschyle et son sens divin perce dans la voix de la Pythonisse.

Tels les grands jours de Delphes et le rôle d’Apollon dans les destinées helléniques. Sa puissance était alors souveraine, mais sa science se cachait derrière un voile impénétrable, sa nature demeurait une énigme. Supposons qu’un peu plus tard, un jeune disciple de Platon, fils d’eupatride, un Charmide ou un Théagès, dans sa première ardeur de savoir, soit venu chercher une explication des mystères et une réponse à ses doutes auprès du prophète de Delphes. Que lui eût répondu le pontife d’Apollon ? J’imagine qu’à l’Athénien subtil et gracieux il eût assigné, pour cet entretien, une heure nocturne, où le temple reprenait son calme après le bruit des fêtes et des processions. Alors, aux flèches brûlantes de Hélios succédaient les rayons caressans de Phoebé, qui, en plongeant dans la gorge assombrie, argentait le feuillage des oliviers et donnait à tous les édifices un air fantômal en les enveloppant de sa lumière élyséenne.

Sous le péristyle du temple, le prophète montrait au visiteur, au-dessus de la porte d’entrée, l’inscription : « Connais-toi toi-même, » et lui disait : « Fixe ces paroles dans ta mémoire et penses-y souvent, car c’est la clef de toute sagesse. » Puis il le conduisait dans l’intérieur du temple à peine éclairé par la flamme mourante d’un trépied. On s’avançait jusqu’à la statue archaïque du Dieu, placée dans la cella, mais invisible dans les ténèbres du sanctuaire. Sur son socle, le prêtre montrait au visiteur, à la lueur d’un flambeau, l’inscription mystérieuse en deux lettres : Et, et il ajoutait : « Lorsque chacun de nous s’approche du sanctuaire, le Dieu, comme pour nous saluer,

  1. Hérodote, livre VII, chap. 40 et 41. — Remarquons ici que pour la prêtresse dorienne du culte mâle d’Apollon, Xerxès était le représentant de tous les cultes féminins de l’Asie. C’est pour cela qu’elle l’appelle « Fils de la Femme. »