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navrée passa sur le visage du mourant et, de nouveau, il essaya de recommencer cette suprême confession. Mais sa voix s’éteignit avec sa pensée.


V

Qu’y avait-il dans ce papier que lady Byron avait remis à Lushington et qui avait produit sur le légiste une impression si profonde ? Nous n’en connaissons la teneur exacte que depuis six ans. Elle y affirmait que lord Byron avait été, avant le mariage, l’amant de sa sœur Augusta et qu’il avait peut-être continué de l’être après le mariage. Médora était le fruit de cet inceste. A quel moment l’affreux soupçon avait-il pénétré dans son esprit ? Quelle parole, quel geste l’avait fait naître ? Elle affirmait s’être efforcée de le chasser, mais il revenait malgré elle et lui glaçait l’âme. Elle n’avait pas oublié la scène qui avait eu lieu dans la berline immédiatement après son mariage, et les paroles de son mari, qu’elle n’avait point comprises, s’éclairaient d’une lueur sinistre. Lady Caroline Lamb ne craignait pas de dire tout haut que Byron était l’amant de sa sœur : qui sait si ce propos n’était pas arrivé jusqu’à la jeune femme ? D’ailleurs, Byron était plus acharné encore que ses pires ennemis à s’accuser lui-même. On l’avait entendu, devant témoins, soutenir en principe et justifier comme très innocent l’inceste du frère et de la sœur. Un autre jour, il avait dit : « Une femme doit me donner prochainement un enfant ; si c’est une fille, nous l’appellerons Médora. » Or, c’est précisément, comme on l’a vu, le nom donné à la petite fille qui était venue au monde, en avril 1814, à Six Mile Bottom. De tout cela était née une conviction profonde du crime, une certitude qui ne reposait encore sur aucune preuve, mais que confirmait, chaque jour, l’étrange attitude du poète et de sa sœur devant lady Byron.

Ici, plusieurs questions s’imposent : si elle était convaincue du fait, pourquoi cette longue et invraisemblable patience ? Pourquoi ces manifestations de tendresse envers sa belle-sœur, dont la trace demeure dans des lettres écrites de sa main et postérieures à la rupture ? Lady Byron expliquait les deux billets affectueux et badins, adressés à son mari aussitôt après l’avoir quitté en janvier 1816, par le doute où elle était alors, disait-elle, sur l’état mental de son mari. Peut-être n’avait-il plus