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élément de son art qui n’appartient qu’à lui seul. Assurément, le nombre est grand des peintres, — et même parmi les plus glorieux, — qui ou bien ne se soucient pas de nous exprimer l’âme et la vie de leurs modèles, ou bien ne semblent pas se douter de l’existence, chez ces modèles, d’autre chose que des traits de leurs figures et de la couleur de leurs robes : mais Holbein n’est pas de leur race, et toute son éducation aussi bien que tout son talent le portent à s’inquiéter, avant tout, de la « signification » de ses personnages. Oui, et cependant que l’on compare ses portraits avec ceux d’un Dürer ou d’un Antonio Moro, pour ne point parler d’un Rembrandt ou d’un Velasquez ! Comme ces peintres-là s’abandonnent à leur génie de divination psychologique ! Dès qu’ils ont saisi l’essence secrète d’un être humain, rien au monde ne les empêcherait de la fixer à jamais sur leur panneau, dussent-ils risquer de mécontenter leurs cliens par cette franchise souvent inopportune. Holbein, au contraire, consent volontiers à nous laisser entrevoir qu’il « tient » l’âme de ses héros. Il n’y a pas jusqu’à son dangereux protecteur Henri VIII dont le visage, tel qu’il nous le montre, n’ait de quoi nous inquiéter, — ou même nous remplir d’une terreur parfaitement positive, — lorsque nous prenons la peine d’examiner longuement, trait par trait, sa placide et somnolente figure, dans le portrait de la Galerie Nationale de Rome. Mais toujours, chez ce peintre, l’indication du caractère des personnages demeure simplement ébauchée ; et toujours c’est exprès, par timidité acquise ou bien par discrétion naturelle, que le maître nous interdit l’accès de ces âmes où il tient à nous attester qu’il a lui-même pénétré.

Trop heureux d’avoir pu, dans sa vie terrestre et pour son propre compte, échapper indéfiniment aux conséquences fâcheuses qu’aurait dû lui amener à plus d’une reprise ce que je serais tenté d’appeler son hypocrisie professionnelle ! Je me demande parfois, notamment, à quel excès de flatterie (ou peut-être simplement de génie artistique) il a dû de ne pas encourir la disgrâce d’Henri VIII, après lui avoir rapporté d’Allemagne ce portrait de la princesse Anne de Clèves qui est aujourd’hui l’un des joyaux du Louvre. On connaît l’amusante histoire, — amusante, mais qui a bien failli devenir tragique. Sur la foi du portrait d’Holbein, Henri VIII avait résolu d’épouser la jeune princesse allemande ; et puis, dès qu’il a vu celle-ci en personne, au lendemain du mariage, il a découvert chez elle un manque de beauté, — disent les historiens, — qui l’a aussitôt contraint à la répudier. Mais au fait Anne de Clèves, telle que l’avait