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anglaise, — s’est momentanément employé tout entier à faire revivre la figure qu’il avait devant soi. De ce coup, les portraitistes les [dus libres et les plus pénétrans doivent s’incliner avec admiration, saluer dans Holbein leur pair, sinon leur maître. Mais un heureux hasard a permis que l’auteur de l’Érasme du Louvre allât plus loin encore, une autre fois, dans cette révélation de son âme d’artiste. Aux environs de 1529,. pendant l’un des courts séjours qu’il faisait à Bâle après son installation en Angleterre, l’idée lui est venue de peindre sa femme et les deux enfans qu’il avait eus d’elle. Comment il les a peints, c’est ce que personne n’a pu oublier de ceux qui ont visité, ne serait-ce qu’une fois, le musée de sa patrie adoptive. Je ne sais pas s’il existe au monde un autre portrait comparable à celui-là en subtile et douloureuse beauté d’expression. Le visage flétri, amorti, de la mère, ce visage où des années de larmes ont à demeure creusé les yeux et gonflé les joues ; et la pose résignée de cette mère, tâchant du moins à retenir ou à protéger ses enfans ; et puis la mine souffreteuse de la petite fille, le mélange de crainte et de respect avec lequel le jeune garçon contemple le terrible grand homme qui a tari la source des larmes dans les yeux de sa mère : tout cela nous est traduit si simplement et si complètement, avec une telle intensité de vie familière, que ni le déplorable état du tableau de Bâle, ni les progrès ultérieurs de la manière du maître n’empêcheront jamais ce portrait d’être son chef-d’œuvre, la seule de ses œuvres qui le mette au niveau des grands portraitistes que nous chérissons.


Pourquoi faut-il seulement que le chef-d’œuvre du peintre se trouve être, en même temps, un acte d’accusation contre lui, ou, plus justement, l’apposition de sa signature au bas du réquisitoire qui se dégage d’une longue série de ses œuvres antérieures ? Ce réquisitoire, en vérité, tel que le déroule à nouveau devant nous le recueil des photographies des peintures d’Holbein, ne repose que sur deux témoignages apportés du dehors : car on sait combien étrangement rares et discrets sont les renseignemens biographiques que nous ont laissés, sur Holbein, les contemporains de ce puissant artiste. D’un homme qui a connu, au long de sa vie, tant de personnages divers, princes et bourgeois, poètes, savans, chroniqueurs professionnels, personne n’a jugé à propos de nous dire quoi que ce fût. Que l’on songe à la place que tiendrait un Dürer, par exemple, dans les écrits du temps, si sa destinée l’avait mis en rapports avec les différens modèles des portraits d’Holbein ! Évidemment ce