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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/467

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l’aimer. Notre appréciation de l’extraordinaire richesse artistique de son art ne se change jamais en cette affection respectueuse et tendre, indulgente même au besoin, que rencontrent auprès de nous un Dürer ou un Rembrandt, les maîtres qui, savans ou ignorans, se sont livrés à nous tout entiers. Par les qualités qu’il apporte à son œuvre, Holbein est assurément l’égal des plus grands : mais il y a des artistes beaucoup moindres qui nous sont infiniment plus proches que le portraitiste merveilleux d’Anne de Clèves et de l’Astronome Kratzer.


Sans compter que la même réserve se manifeste à nous dans toute la peinture religieuse d’Holbein, et que, pareillement, lorsque nous rencontrons ailleurs qu’à Bâle une de ses Vierges ou l’un de ses Portemens de Croix, ni l’habileté élégante delà composition, ni la prodigieuse maîtrise du dessin, ni le charme attirant d’une couleur à demi allemande et à demi vénitienne, ne compensent l’impression de malaise que nous produit cette peinture d’un homme qui, ici encore, semble nous cacher la plus grosse part de sa vie intérieure. J’ai l’idée que, si nous rencontrions ailleurs qu’au musée de Bâle, — dans cette atmosphère imprégnée séculairement d’une admiration toute « mystique » pour le génie du demi-dieu de l’endroit, — le fameux Christ mort qui, là-bas, nous émeut très profondément, nous serions plutôt choqués de l’absence totale de toute émotion, religieuse ou simplement humaine, dans l’exacte et savante reproduction du cadavre d’un noyé retiré du Rhin. Rarement une œuvre s’est trouvée qui unît à autant de beauté picturale une aussi monstrueuse insensibilité.

Et ici encore, dans ce domaine de la peinture religieuse ou allégorique, force nous est de constater que l’insensibilité du maître bâlois n’est que feinte. C’est la main du sournois « gagne-petit » qui se refuse à traduire l’émotion pieuse ou la fantaisie poétique : l’intelligence, à défaut du cœur, est chez lui de taille à rivaliser avec les plus hauts génies de l’art de tous les temps. Qu’une occasion se présente où Holbein se décide à sortir de sa réserve habituelle ; et nous le voyons, par exemple, dans sa série gravée de la Danse Macabre, s’épancher avec une verve passionnée, avec une liberté et une puissance pathétiques, que lui envierait à bon droit un maître de la lignée des Dürer et des Grunewald. Ou bien c’est, au Louvre, ce portrait d’Érasme où Holbein, se sachant méprisé du fameux humaniste, et désirant à tout prix s’acquérir sa faveur, — qui lui vaudra bientôt, en effet, son introduction auprès de Thomas More et de l’aristocratie