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institutions, c’est dans les lettres qu’il adresse à son frère Léopold[1]qu’il convient d’en chercher surtout la sincère expression. Au demeurant, et malgré ses vertes critiques, on y voit bien qu’il n’est pas pour sa sœur un juge foncièrement malveillant ; il rend même hommage en passant à certaines de ses qualités : « La Reine est une jolie femme ; mais c’est une tête à vent, qui est entraînée toute la journée à courir de dissipation en dissipation, parmi lesquelles il n’y en a que de très licites… Elle ne pense qu’à s’amuser ; elle ne sent rien pour le Roi. Sa vertu est intacte ; elle est même austère par caractère… C’est une aimable et honnête femme, un peu jeune, peu réfléchie, mais qui a un fond d’honnêteté et de vertu. Le désir de s’amuser est bien puissant chez elle, et, comme l’on connaît ce goût, on sait la prendre par son faible… » Quand il parle du Roi, il le trouve « mal élevé, faible pour ceux qui savent l’intimider, et par conséquent mené à la baguette, dans une apathie continuelle, » point sot pourtant, assez instruit, rempli d’intentions droites.

Il met le doigt avec justesse sur le vice capital de la haute administration dans les dernières années de l’ancienne monarchie française : « Chaque ministre, dans son département, est maître absolu, mais avec la crainte continuelle d’être, non dirigé par le souverain, mais déplacé. Par là, chacun ne tend qu’à se conserver, et aucun bien ne se fait, s’il n’est analogue à cette vue. Le Roi n’est absolu que pour passer d’un esclavage à un autre. »


VI

Six semaines s’étaient écoulées à cette espèce de revue générale, passée par le souverain de la nation alliée. Tant chez les hôtes que chez le visiteur, une certaine lassitude commençait à se faire sentir. Le public parisien revenait peu à peu de l’engouement des premiers jours, de l’excessive admiration qu’avaient d’abord excitée les allures d’un prince aussi original. « On s’est peut-être trop accoutumé à le voir, remarque Mme Du Deffand. Les impressions qu’il a faites sont usées. La simplicité plaît, mais à la longue paraît peu piquante. » L’Empereur, de son côté, se fatiguait visiblement de maintenir sans relâche l’attitude affectée à laquelle il devait la plus grande

  1. Maria-Theresia und Joseph II, passim.