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l’objet visé que de loin, avec le recul qui conviendrait pour la contemplation d’un tableau ; bref, tourner autour de l’objet au lieu d’entrer hardiment à l’intérieur : voilà, en deux mots, l’attitude et la démarche ordinaires de la pensée commune, qui la conduisent à ce que j’appellerai l’analyse par concepts, c’est-à-dire à la tentative de résoudre toute réalité en notions générales. Que sont en effet les concepts, les idées abstraites, sinon des vues lointaines et simplifiées, des manières de croquis schématiques, ne donnant de leur objet que quelques traits sommaires, variables suivant la direction et l’angle ? Par eux, on prétend déterminer l’objet du dehors, comme si, pour le connaître, il suffisait de l’enserrer dans un réseau de triangulation logique. Et ainsi peut-être en effet le tient-on, peut-être en établit-on précisément la fiche signalétique, mais on ne le pénètre pas. Les concepts traduisent des rapports, qui résultent de comparaisons par lesquelles chaque objet se trouve exprimé finalement en fonction de ce qui n’est pas lui. Ils le disloquent, le répartissent morceau par morceau, le dispersent dans son entourage ; ils ne le saisissent que par ses points d’attache, par ses ressemblances et par ses différences. N’est-ce pas ce que font visiblement ces théories réductrices où l’âme est expliquée par le corps, la vie par la matière, la qualité par le mouvement, l’étendue elle-même par le nombre pur ? N’est-ce pas ce que font en général toutes les critiques, toutes les doctrines qui ramènent une idée à une autre idée ou à un groupe d’autres idées ? Or ainsi on n’atteint des choses que la surface, les contacts réciproques, les parties communes, les intersections mutuelles, mais non point l’unité organique ni l’essence intérieure. En vain multiplie-t-on les points de vue, les perspectives, les projections planes : aucune accumulation de ce genre ne refera de la solidité concrète. Passer d’un objet directement perçu aux tableaux qui le représentent, aux gravures qui représentent les tableaux, aux schèmes qui représentent les gravures, cela est possible parce que chaque degré contient moins que les précédens et s’en tire par simple diminution. Mais inversement donnez-vous tous les schèmes, toutes les gravures, tous les tableaux, — à supposer qu’il ne soit pas absurde de concevoir donné ce qui est, par nature, interminable et inexhaustible, ce qui prête à énumération indéfinie, à développement et multiplicité sans fin : jamais vous ne recomposerez l’unité profonde