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m’en dites et ce que je sais de l’habitude du peintre me font croire qu’il ne faut point chercher ce bleu-là dans la pâte et que vous pouvez l’obtenir par des glacis. Décomposez-le, et voyez si ce n’est pas du vert glacé de bleu avec un élément quelconque comme des laques ou du brun pour en rompre la crudité, ou au contraire du bleu glacé d’un ton verdâtre. En tout cas, je crois qu’avec les bleus que vous avez, Prusse et cobalt, en les superposant à l’état dur sur une pâte solide quelconque, grise ou rose ou blanche, et en vous réservant au besoin de la glacer de laque jaune ou de la salir de légers tons opaques dans les parties grises, vous pouvez vous procurer tous les tons désirables. Il est possible que, n’ayant point le modèle très présent à la mémoire, les indications que je vous donne ne soient que du radotage. Pourtant voyez-y, et, en principe, pour certains tons indéfinissables, que la pâte se refuse décidément à copier, essayez de ce système qui est solide, et dont les ressources sont incalculables : une pâte solide en dessous, de manière à recevoir un glacis coloré ; agissez sur cette pâte par des glacis ou frottis légers, ou par des demi-pâtes transparentes. Vous remarquerez dans la peinture moderne, surtout celle de l’école Couture et Müller, l’usage très piquant du procédé que je vous indique. Je ne crois pas me tromper en affirmant que, soit dans la draperie en question, soit dans la partie sacrifiée du tableau, dans l’ombre du tambour de basque ou ailleurs, vous en trouverez au moins une explication.

Je suis heureux de vous voir en veine de courage. Mon opinion sur vous vous est connue ; j’estime que, même dans les conditions qui vous sont faites, conditions mauvaises, il faut le dire, mais qu’il faut subir, vous pouvez faire de très bonne peinture. Il vous manque deux choses : d’en voir et d’en faire d’après nature ; on s’habitue, vous le savez trop, à peindre avec sa palette, — je me trompe, avec la palette du maître, — et le jour où l’on se met en face de la nature, de deux choses l’une : ou l’on a le triste courage de la faire aveuglément passer par sa palette factice et empruntée et de l’assaisonner de tons extraordinaires, ou bien, on a la sincérité de la regarder d’un œil naïf et, comme elle contredit toutes vos habitudes, qu’elle déroute toute votre expérience, qu’elle ne s’accommode en rien des tons que vous lui prêtez de confiance, il arrive qu’on ne