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livre à faire avec la donnée choisie, mais il fallait le refaire, et je m’applaudis maintenant d’avoir attendu et d’avoir persévéré.

Quant à vos observations, sachez que j’y attache un prix véritable. Excès d’analyse et çà et là de l’afféterie : c’est bon, j’y aurai l’œil quand il s’agira de publier le livre, mais cette légère indication ne suffit pas pour m’éclairer. Je suis encore trop près du travail pour en avoir la conscience nette et le juger d’un œil assez clairvoyant. Savez-vous, cher ami, le service que vous devriez bien me rendre, si j’osais vous imposer cette corvée ? Souvenez-vous des points incriminés, que vous avez certainement notés au passage ; tachez de les retrouver, pointez les chapitres, les pages, les lignes, et indiquez-les-moi. J’examinerai, et soyez sûr que vos sévérités me profiteront. J’ai si grande envie de faire bien ! J’enregistre ainsi certaines observations soit de fond, soit de forme, et, le moment venu, je les utiliserai pour améliorer. Le volume ne paraîtra qu’à l’automne, et d’ici là, j’espère, nous nous verrons.

Il m’importait beaucoup de ne pas faire un four. Un roman après deux livres de voyage, un livre d’homme, après des essais littéraires qu’on pouvait tolérer d’un peintre, c’était une grosse entreprise et pleine de danger. Le danger est paré. La réussite est-elle assurée ? Vous le dites. Et je suis obligé de m’en rapporter aux bruits recueillis par mes amis.

Merci encore, votre lettre m’a fait battre le cœur d’un petit mouvement de vanité permis et de joie très légitime. Imaginez-vous que depuis cinq ou six jours, je n’ai pas eu une minute de liberté le soir, pour vous en remercier. Ce soir encore, il est tard, je suis las, je pense et j’écris tout de travers ; mais je n’ai pas voulu me coucher avant de vous avoir écrit ; et, stupide ou non, ce petit mot vous arrivera sans délai. Piochons, il n’y a que cela de positif, et soyons sévères l’un et l’autre, l’un pour l’autre. Plus je lis, plus je m’efforce, plus je suis convaincu que le très bien est le fruit d’un excessif travail.

Adieu, cher ami. Je vous embrasse et suis à vous de tout cœur.

EUGENE.

P. -S. — Écrivez-moi, n’est-ce pas ? Et rendez-moi le service de me faire la note des passages à châtier.


Pendant deux ans, Fromentin, tout à sa peinture, n’écrit plus rien.