Il est certain qu’il avait la confiance de l’abbé Terray. On prétend que, le jour de l’émeute, les Savoyards ont crié : Vive M. Necker ! et qu’il y avait à la Halle plusieurs exemplaires de son livre. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ses principes sur la propriété vont à légitimer le pillage, comme les principes des Jésuites sur la compensation à légitimer le vol ; ce qu’il y a de plaisant, c’est que ses raisons sont les mêmes que celles des Jésuites. » Ne croit-on pas lire déjà un de ces actes d’accusation qui bientôt, dans les assemblées révolutionnaires, feront parlera la justice le pur langage de la haine ? N’est-ce pas le même système d’inquisition, la même perfidie à détourner une question, à présenter des on-dit pour des faits et des racontars pour des certitudes ? Et chacun de ces il est certain ne retombe-t-il pas avec une implacable précision de couperet ?
A quel point Mme Suard était gênée, blessée, ulcérée par cette attitude de Condorcet, on le devine. Elle se plaignait, prêchait le calme et la mesure, invoquait le bon sens, les convenances, le sentiment même de sa dignité, que n’aurait pas dû oublier un homme de la valeur et du rang de Condorcet. « Ayez soin de votre santé. Tachez que la colère ne la dérange point. Ménagez, de grâce, vos expressions dans la suite de votre réponse. Faut-il que le meilleur des hommes, celui à qui je reconnais, avec un sentiment si délicieux, le plus de vertus, s’établisse la réputation d’un homme violent et injuste ? Adieu, je vous embrasse bien tristement, mais bien tendrement. » Le temps n’était plus où Condorcet promettait de renoncer à ses idées les plus chères et de n’avoir plus d’opinion sur rien ni sur personne, plutôt que de contrister son amie. D’ailleurs, à peine y avait-il de sa faute : il n’était plus maître de lui, il ne se possédait plus. Et on était bien obligé de s’apercevoir, dans son entourage, que certaines questions le plongeaient aussitôt dans un état singulier, où il cessait d’avoir nettement conscience de ses actes et de ses paroles. Mme Suard lui écrit, comme à un irresponsable, avec une nuance de pitié. « Vous croyez n’être plus en colère, et vous m’adressez quatre pages d’injures atroces contre un homme que j’aime et que j’estime ! Vous avez, mon bon ami, la fièvre chaude, ou plutôt le diable au corps, comme le dit M. d’Alembert. » Et, dans une note, elle nous donne ce l’enseignement : « J’ai déchiré presque toutes les lettres de M. de Condorcet où le caractère de M. Necker était insulté. Je ne les