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nouvelle des régimens dans les villes et provinces de France ; et ce fut là que les choses se gâtèrent. Les grands seigneurs et gens de Cour, — généraux, maréchaux de camp ou simples colonels — ne purent se pliera l’idée d’être envoyés au loin, astreints, en d’obscures garnisons, à de rudes et constantes besognes. De toutes parts éclatèrent les récriminations. Ces résistances et ces colères, Saint-Germain les avait prévues ; dans le Conseil où il avait exposé son plan à Louis XVI : « Sire, lui avait-il dit, j’ai vu tous les soldats de l’Europe, et j’ai reconnu que les meilleurs n’étaient pas les plus braves, mais les plus dociles. En conséquence, j’ai cru devoir rétablir dans vos troupes cet esprit d’ordre et de subordination, qui n’y a jamais régné, sans m’effrayer des plaintes. Un chirurgien ne fait pas une amputation à un malade sans le faire crier, mais il lui rend la santé et la vie[1]. » Les ministres demeurèrent muets ; mais le Roi répondit : « Achevez et maintenez votre ouvrage, monsieur, et ne vous inquiétez de rien. »

Une si belle fermeté ne tiendra pas longtemps contre l’influence de la Reine. Le domaine militaire est, en effet, celui où, de tous temps, s’est manifestée davantage la malencontreuse ingérence de Marie-Antoinette. Pour complaire à son entourage, elle intervient continuellement, soit dans le choix des chefs, soit dans le choix des garnisons. Du début à la fin du règne, pas un ministre de la Guerre n’échappe à ses instances, et parfois à ses injonctions. On a pu dire que pendant quinze années, nul régiment n’avait été donné sans son avis ou sans sa permission. Les règlemens de Saint-Germain, en provoquant l’indignation de ses plus chers amis, l’émurent profondément, la jetèrent hors de toute mesure ; et Louis XVI, harcelé de plaintes, capitulait bientôt, avec sa faiblesse coutumière, devant des exigences parfois formulées avec larmes. Quand Saint-Germain, convoqué certain jour par Marie-Antoinette, par elle accablé de reproches, cherche refuge auprès du Roi, il est tout étonné de l’accueil qu’il rencontre : « Tout cela est fort bon, dit Louis XVI avec embarras, mais je ne veux pas mécontenter la Reine ; ainsi arrangez-vous de façon à la satisfaire. »

Une petite scène, entre bien d’autres, rapportée avec complaisance dans les Mémoires du comte Esterhazy, peint au vif

  1. Correspondance secrète de Métra, 19 janvier 1776.