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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/787

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la situation du malheureux ministre. Esterhazy, intime ami de Marie-Antoinette, voit son régiment désigné pour résider à Montmédy, qu’il considérait, écrit-il, « comme la garnison la plus désagréable de France. » Il court droit chez la Reine, se plaint de Saint-Germain, réclame violemment contre sa décision : « Laissez-moi faire, dit-elle, vous entendrez vous-même ce que je lui dirai. » Elle fait cacher Esterhazy dans une pièce attenant à sa chambre, puis envoie chercher le ministre et, dès qu’elle l’aperçoit : « Il suffit donc, monsieur, que je m’intéresse à quelqu’un pour que vous le persécutiez ? Pourquoi envoyez-vous le régiment d’Esterhazy à Montmédy, qui est une mauvaise garnison ? Voyez à le placer ailleurs. — Mais, madame, répond-il avec timidité[1]les destinations sont faites. Peut-on déplacer un ancien régiment pour en mettre un nouveau ? — Comme vous voudrez ; mais que M. Esterhazy soit content, et vous viendrez m’en rendre compte. » — « Sur quoi, ajoute le narrateur, elle lui tourna le dos et vint me trouver dans le cabinet où j’avais tout entendu. » Le lendemain, Saint-Germain envoie au comte un commis de son ministère pour lui montrer la liste des garnisons vacantes et le prier d’y faire son choix[2]. Ainsi, par ces humilians désaveux et ces palinodies publiques, s’affaiblit graduellement l’autorité d’un homme, qui jouit pourtant, à juste titre, de la confiance du peuple et de l’estime du Roi.


IV

Jusqu’à présent, en dépit d’erreurs de détail, l’ensemble des mesures imaginées par Saint-Germain pour réformer le commandement et l’état-major de l’armée constituaient un progrès sérieux et indéniable. Il suffit pour le démontrer que la plupart d’entre elles aient supporté l’épreuve du temps et forment encore aujourd’hui la base de notre système militaire. Le ministre fut moins heureux dans quelques-unes des prescriptions relatives aux soldats. Elles procèdent pourtant, comme les autres, d’un esprit de justice et d’un souci d’humanité, mais certaines maladresses, dues à sa raideur germanique, à son peu d’expérience des hommes en général, et plus spécialement des Français, compromirent fâcheusement le succès de son

  1. « En mourant de peur, » écrit Esterhazy.
  2. Mémoires du comte Esterhazy.