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prescriptions, au siècle de Voltaire, risquaient de provoquer plus de sourires que de respect. A passer la mesure, le ministre s’expose à voir avorter son dessein.

L’ordonnance sur la désertion donna de meilleurs fruits. Ce crime, sous l’ancienne monarchie, était l’objet de terribles rigueurs, nez et oreilles coupés, fleurs de lys marquées au fer rouge sur les joues du coupable, la mort enfin, fût-on en temps de paix. Mais, comme il arrive d’ordinaire quand les peines sont trop dures, des grâces, des amnisties constantes énervaient l’action de la loi, et la pitié royale, dans la pratique courante, venait désarmer la justice. Dorénavant la peine de mort est réservée au temps de guerre ; un tableau, savamment gradué selon la gravité des cas, y substitue plus ou moins d’années de galères. Bien mieux encore : le Roi, « convaincu, dit le préambule, que la désertion est presque toujours l’effet d’une circonstance que suit le plus profond repentir, » accorde trois jours de sursis, — peu après portés à six jours, — à ceux « qui ont senti la honte et l’énormité de leur crime. » Les soldats qui reviennent au corps dans le délai fixé en seront quittes pour quinze jours de prison. Un billet de Louis XVI[1]indique de quel espoir se berçaient, à bon droit, le prince et son ministre : « Je compte que l’extrême adoucissement des peines aura ce bon résultat que les déserteurs cesseront d’être intéressans pour le public et que ceux de mes sujets qui se faisaient une sorte de devoir d’humanité de protéger leur fuite les abandonneront désormais à la loi. »


Tout cela, somme toute, est fort bon. Pourquoi faut-il que le même homme qui opère tant de belles réformes risque d’en détruire le succès par la maladroite prescription à laquelle, jusque de nos jours, son nom est resté attaché ? Pourquoi faut-il que, grâce à cette sottise, de toute son œuvre, si riche et si variée, beaucoup de gens ne se rappellent que ce misérable détail, et ne connaissent de Saint-Germain que l’inventeur des « coups de plat de sabre ? » Un article en trois lignes, inséré, sans presque y songer, dans une des grandes ordonnances qui réorganisaient l’armée, il n’en fallut pas plus pour déchaîner les protestations violentes et les assourdissantes clameurs dont, après

  1. Lettre du 7 décembre 1777. — Correspondance publiée par Feuillet de Conches. — Journal de l’abbé de Véri.