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entre homme et femme, dont on découvre, à l’instant de la déchirure, l’étroite parenté avec l’amour. L’amie délaissée souffrit de toute son âme.

Les années venaient. Ce n’était certes pas encore la vieillesse, et pas même ses premières atteintes, mais c’était déjà le tournant de la vie où l’on a derrière soi sa jeunesse. Le portrait que nous avons de Mme Suard est de cette époque. C’est un médaillon, non signé, peut-être du peintre Duplessis, qui était en relations avec la famille. La mode était aux étoffes simples, aux linons, aux mousselines, aux petites robes que revêtait Manon Philipon pour aller le dimanche dans les bois de Meudon, aux coiffes à la paysanne qu’affectionnait la grande bergère du hameau de Trianon. Tout enveloppée ainsi dans son joli fichu et sa grande fanchon, Mme Suard donne une première impression de grâce souriante dont il est impossible de ne pas être séduit. Les traits sont délicats, encore affinés par la coiffure volumineuse. Le front est découvert, les sourcils saillans, les pommettes proéminentes, la bouche grande, les lèvres mobiles. Le teint est animé, sans qu’on puisse démêler si c’est l’effet de la nature, ou de la convention du genre, ou peut-être d’un peu de fard. Aucune régularité. Un visage tout en expression. Approchons-nous : ce qui manque à ce portrait d’une femme qui dut être charmante, c’est un peu plus de générosité, d’aisance et d’abandon : il y a de la sécheresse dans les traits, et les coins des lèvres sont déjà un peu fripés. L’âge se fait sentir. Le fond de la nature se révèle. Quelle faute pour une femme de laisser après soi une image qui est celle de son déclin !

Bien des amis, et des meilleurs, étaient disparus. Le cercle des relations se resserrait. Mme Geoffrin et Mlle de Lespinasse, Helvétius et d’Holbach, d’Alembert et Saurin étaient morts. M. Necker, condamné à une longue retraite, attendait que son heure sonnât de nouveau, et redoutait qu’elle arrivât trop tard. Une vague rumeur précédait les catastrophes prochaines. L’inquiétude grandissait. Le séjour de Paris devenait de plus en plus pénible. Pour y échapper, Mme Suard se réfugiait dans celle petite maison de Fontenay, récemment acquise, une jolie maison, plaisante surtout par sa situation, où, de son salon et de sa chambre, elle découvrait. « un amphithéâtre de bois superbes et très étendus, dont le paysage était aussi varié dans