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d’analyse est réglé sur les articulations de la matière ? La philosophie à son tour doit donc aussi le dépasser, ayant pour office de considérer toute chose dans son rapport avec la vie.

Ne concluez pas cependant que le devoir du philosophe soit de renoncer à l’intelligence, de la réduire en tutelle, de l’abandonner aux aveugles suggestions du sentiment, de la volonté. Ce n’est pas même son droit. L’instinct, chez nous qui avons évolué dans les voies de l’intelligence, est resté trop faible pour nous suffire. C’est d’ailleurs par le seul détour de l’intelligence que pouvait éclore la lumière au sein des nuits primitives. Mais la réalité présente, voyons-la dans toute sa complexité, toute sa richesse. Autour de l’intelligence actuelle subsiste un halo d’instinct. Ce halo représente le reste de la nébulosité première aux dépens de laquelle s’est constituée l’intelligence comme un noyau de condensation brillante ; et c’est encore aujourd’hui l’atmosphère qui la fait vivre, c’est la frange de tact, de palpation subtile, de frôlement révélateur, de sympathie divinatoire, que nous voyons en jeu dans les phénomènes d’invention, comme aussi dans les actes de cette « attention à la vie, » de ce « sens du réel » qui est l’âme du bon sens, si profondément distinct du sens commun. Eh bien ! la tâche propre du philosophe serait de résorber l’intelligence dans l’instinct ou plutôt de réintégrer l’instinct dans l’intelligence, disons mieux : de reconquérir, du centre de l’intelligence, tout ce que celle-ci a dû sacrifier des ressources initiales. En cela consiste le retour au primitif, à l’immédiat, au réel, au vécu. En cela consiste l’intuition.

Assurément la tâche est difficile. Elle éveille tout de suite l’appréhension d’un cercle vicieux. Comment aller au-delà de l’intelligence, sinon par l’intelligence elle-même ? Nous sommes, semble-t-il, intérieurs à notre pensée, aussi incapables d’en sortir qu’un ballon de monter au-dessus de l’atmosphère. Oui, mais on prouverait tout aussi bien, avec un tel raisonnement, l’impossibilité pour nous d’acquérir n’importe quelle nouvelle habitude, l’impossibilité pour la vie de croître et de se dépasser sans cesse. Que l’image du ballon n’induise pas en évidence illusoire ! La question est de savoir ici où sont les limites réelles de l’atmosphère. Il est certain que l’intelligence discursive et critique, laissée à ses propres forces, demeure enfermée dans un cercle infranchissable. Mais l’action dénoue le cercle. Que