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disputer à l’ennemi les positions et les passages essentiels d’où dépendait le sort de Bourbaki et s’étaient bornés à attendre sur place l’attaque des Allemands. M. de Freycinet s’en était étonné, lui aussi, et leur avait télégraphié qu’un corps prussien qui passait tout pris deux se rendait à Gray sans qu’ils s’en fussent doutés. Il invitait Bordone et ses soldats à aller se jeter au travers de l’ennemi qui circulait entre Dijon et Gray, de manière à troubler sa marche et à protéger l’armée qui marchait sur Belfort. Il recevait des informations insuffisantes et se plaignait d’avoir été trop confiant. Aussi, le 19 janvier, mandait-il sévèrement à Bordone : « Vous n’avez donné à l’armée de Bourbaki aucun appui et votre présence à Dijon a été absolument sans résultats sur la marche de l’ennemi de l’Ouest à l’Est. » En réalité, les troupes réunies à Dijon et destinées à empêcher les Allemands de se jeter sur Bourbaki s’étaient laissé retenir par un rideau de forces ennemies qui n’avait d’autre mission que de les occuper. Bourbaki avait dû se replier sur Besançon, opérant lentement sa retraite à cause de la fatigue de l’armée, de la rigueur de la saison et de l’état affreux des routes. Il comptait trouver des vivres abondans et des munitions pour se maintenir autour de la place de Besançon, et fut désolé d’apprendre qu’il n’y restait presque rien ; que Quingey et Mouchard étaient aux mains de l’ennemi et que l’on ne pouvait se replier que du côté de Salins ou de Pontarlier. Il n’était plus possible de marcher sur Auxonne, car l’armée se fût engagée entre l’Ognon et le Doubs et aurait été attaquée par des forces supérieures sur ses deux flancs et sur ses derrières, avec la Saône à dos. Le seul salut était de se glisser le long de la frontière suisse. Les raisons indiquées ci-dessus et les conditions fatales de l’armistice en faisaient une loi.

Dans une note parue en 1894 et communiquée au colonel Secretan, Bourbaki comparant les ressources de l’ennemi, son état moral, son armement et sa discipline avec la situation de ses propres troupes, leurs moyens et leur situation personnelle, disait qu’un commandant en chef, dans de pareilles conditions, marche à une défaite certaine. Mais il ajoutait : « Si la Patrie est aux abois, qu’il ne puisse faire prévaloir son avis pour un armistice ou pour une paix devenue nécessaire, il doit dans certains cas accepter avec abnégation la triste mission qui lui est