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— de sa sphère, c’est-à-dire de son âge, de sa condition, du cercle bien arrêté des études auxquelles il faut s’être donné d’abord à peu près tout entier.

J’ai été sept ans professeur de lycée. Je me rappelle les classes supplémentaires que, pour nous assurer notre maximum, on nous faisait faire à l’enseignement dit spécial. Les professeurs de troisième, de seconde, de rhétorique, d’histoire, de philosophie y passaient tour à tour. Le résultat était déplorable. C’est qu’inévitablement nous parlions à ces élèves d’une heure le langage auquel nous étions habitués le reste de la semaine ; nous ne pouvions nous défendre de suivre le même mouvement d’idées, de nous expliquer par le même genre de rapprochemens, de citer les mêmes exemples et de faire allusion aux mêmes théories. Nos explications ne faisaient donc que créer, pour quelques instans, autour de l’attention de nos élèves, une sorte d’atmosphère nébuleuse ; quand elle était dissipée, il ne restait que du vide, ou, ce qui était pire encore, des interprétations, des confusions dont nous avions le plus grave tort de rire, car nous en étions en grande partie responsables. Et cependant, j’ai le souvenir très net que tel juge excellent, universitaire dévoué, esprit très libre, avait une prédilection bien connue pour les candidats que les frères des Ecoles chrétiennes de Dijon lui présentaient à l’examen final de ce même enseignement. Là, maîtres et élèves obtenaient des succès que nous ne pouvions pas ignorer. C’est que, là, maîtres et élèves parlaient, les uns moins bien, les autres mieux, un même langage et travaillaient ensemble régulièrement sur les mêmes conceptions dont se trouvait forcément exclu tout ce qui les eût empêchées d’être cohérentes. En toute chose, il vaut mieux se procurer un spécimen achevé d’un ordre inférieur que prétendre à un produit mal ébauché d’un ordre jugé plus élevé, et jugé tel avec raison, quand il est tout ce qu’il doit être. Est-ce là parquer les gens à tout jamais dans des sphères inégales ? nullement ; c’est, au contraire, indiquer à chacun le moyen de s’élever de l’une à l’autre, s’il est vraiment doué des qualités nécessaires, et s’il veut bien se servir de ce qu’il a appris dans l’une pour essayer de pénétrer utilement dans l’autre.

L’idée de mettre tous les types d’enseignement ensemble en un même établissement devait conduire l’administration à mettre toutes sortes de professeurs indistinctement au service