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scientifiques. Sous prétexte de géographie, on prétend initier des bambins à la science encore mouvante de la géologie, — ce dont les savans compétens se sont plaints avec une certaine vivacité. On a supprimé cette étude des lieux particuliers qui faisaient accomplir aux enfans, sur les cartes, comme des voyages imaginaires : on remplace cette vision, — indispensable[1], — par des considérations d’océanographie, par des théories sur les glaciers et ainsi de suite. De même en histoire, on remplace la suite des faits et l’action des grands personnages par des résumés sociologiques sur les différentes classes, sur la vie de la noblesse, sur celle du tiers-état, sur celle du clergé. En retour, quand l’élève de latin-grec arrive dans les hautes classes, on diminue pour lui la culture scientifique, laquelle eût très bien marché de pair, par exemple, avec la culture philosophique. On semble lui dire : Puisque tu as voulu de ces études vieillies, qui ne sont plus bonnes qu’à former des érudits, renonce à tout le reste. On lui rend alors beaucoup plus difficile le passage final aux études scientifiques ; on arrête ce recrutement de choix où les mathématiques spéciales et les grandes écoles trouvaient les meilleurs de leurs élèves, chez ceux qui avaient fait de solides études littéraires. Enfin, par une étrange contradiction, l’affaiblissement prodigieux de la licence ès lettres et des concours de l’Ecole normale (où l’on peut arriver sans aucune connaissance du grec) enlève à ces études littéraires elles-mêmes une grande partie de leur attrait et de leur sanction.

Nous venons de parler des études scientifiques. Enseignées d’une certaine manière et à leur heure, elles ont toujours fait partie de l’enseignement classique. Aussi affirme-t-on que les professeurs les plus mécontens de l’anarchie présente, ce sont les professeurs de mathématiques : ils sont plus irrités encore que les professeurs d’humanités. Ils disent couramment entre eux que leurs élèves ne savent plus comprendre l’énoncé d’un problème ; il faut le leur répéter, le leur expliquer trois ou quatre fois. Pourquoi ? Parce que ces élèves n’ont pas pris l’habitude de réfléchir au sens précis et à l’enchaînement logique des signes (que ce soient des mots ou des chiffres). Ne soyons donc pas surpris que ce soient des professeurs de

  1. Il n’y a pas bien longtemps, un candidat au baccalauréat ayant mis Pékin en Tunisie, l’un des juges fit observer à ses collègues, programmes en main, que le candidat n’était pas tenu d’en savoir davantage : le jury s’inclina.