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ce qu’on veut dire. Si, par aventure, vous ne l’entendiez qu’à demi, ouvrez, au hasard, quelque partition classique, de Haydn, de Mozart ou de Beethoven, opéra, sonate, quatuor, symphonie, et, dès la première page, dès les premières mesures, vous serez édifié. Ce n’est pas non plus que, dans la musique de M. Magnard, le développement des idées ajoute beaucoup d’intérêt et de vie à ces idées mêmes. Et vous pourriez encore, passant des chefs-d’œuvre classiques à certaine œuvre récente, peut-être suffisamment « avancée, » Ariane et Barbe-Bleue, de M. Dukas, trouver là, dans l’épisode instrumental des pierreries, et, tout de suite après, dans la cantilène des captives, un double et lumineux exemple de la beauté symphonique et de la beauté d’un chant.

Enfin, nous le disions tout à l’heure, il ne paraît pas impossible que la disgrâce du leitmotif approche. Sommes-nous destinés à voir le crépuscule de ce dieu ? Parmi tant de systèmes, que, depuis trois cents et quelques années qu’il existe, le drame en musique adopta, celui-là ne serait-il pas, au fond, le plus convenu, le plus arbitraire et, pour tout autre musicien que Wagner, le plus funeste à la liberté ? Wagner, qui l’avait inventé, le dominait. Et puis Wagner avait créé l’âme même de son art ; il n’a laissé que le mécanisme de son métier à ses imitateurs. De ce mécanisme, le leitmotif est quelque chose comme l’organe essentiel et tyrannique entre tous. Il ne soutire rien hors de lui, rien qui ne soit lui. Trop rares, depuis trop longtemps, sont les œuvres qui s’en affranchissent. Mais comme elles nous semblent aisées auprès de celles qu’il régit ! Une des plus fortes raisons que nous eûmes naguère d’acclamer un Falstaff, est justement l’indépendance du joyeux et fier chef-d’œuvre à l’égard d’une formule, ou d’une loi trop communément acceptée.

En musique même, voyez-vous, nous ne sommes pas plus libres aujourd’hui qu’autrefois. Est-ce dans un Tristan, ou dans un Orphée, dans un Don Juan, dans un Barbier de Séville, que le génie semble respirer le plus à l’aise et que nous semblons nous-mêmes nous affranchir et nous alléger davantage ? Vainement peut-être la symphonie au théâtre a prétendu se donner carrière. Liée malgré tout à une action, à des paroles, à tout un ensemble d’élémens et de forces dont les lois ne sont pas des lois, il lui faut, à leur gré, se réduire, se rompre ou s’interrompre, et sans cesse on dirait qu’elle regrette l’ordre, le domaine de la musique pure, le seul, à vrai dire, où s’ouvrent devant elle les vastes espaces et les horizons infinis.

Est-ce donc la déclamation que le nouveau régime aurait