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émancipée ? Il n’a fait que l’asservir. Nous attendons encore le musicien qui réglera, dans le drame lyrique moderne, les rapports de l’orchestre avec la voix, soit que d’ailleurs on permette à celle-ci de chanter, soit qu’on la réduise à je ne sais quelle vague, et gauche et pénible notation des paroles, où non seulement la mélodie, mais le récitatif même n’a plus aucune part. Le musicien de Bérénice, avec la majorité de ses contemporains, s’est décidé pour le second système. On a souvent cité le mot de Grétry : « Il y a chanter pour parler et il y a chanter pour chanter. » Les personnages de M. Magnard ne chantent ni de l’une de ces deux façons, ni de l’autre. Leur langage n’a rien de musical, ne consistant, — si l’on peut ici parler de consistance, — qu’en des notes le plus souvent éparses, disjointes, et dont aucun fil mélodique ne fait une ligne de sons. Mais la force, la justesse verbale est absente également de leurs discours. Il semble que, de parti pris, la note ne corresponde point au mot, que même elle y contredise. La manière dont la plupart de nos héros lyriques s’expriment aujourd’hui n’offense rien autant que le naturel, hormis la vérité. Quand on écoute Bérénice en suivant non pas « sur » la partition, mais « sur » le livret, c’est merveille de voir, d’ouïr chaque phrase, chaque parole du texte susciter infailliblement la musique la moins propre à l’accompagner et à la traduire. « Au commencement était le verbe. » Il était même au commencement du drame lyrique. À Florence, il a régné sur l’opéra naissant. Plus tard, le siècle de Lully, celui de Gluck en ont vu la gloire et l’ont pour longtemps assurée. Mais le verbe ne garde plus aujourd’hui qu’un petit nombre d’adorateurs. Un musicien tel que celui de Déjanire, nous le disions l’autre jour, peut bien l’honorer encore ; malgré tout, la symphonie a pris sa place, il n’habite plus parmi nous.

Et puis, dans le drame que nous appelons lyrique, ne vous semble-t-il pas que la part du lyrisme aille toujours en se réduisant ? Le temps n’est plus où soudain, pendant une halte de l’action théâtrale, sous la poussée d’une force intérieure, irrésistible, la musique, la vraie, jaillissait du chant ou de l’orchestre, ou de l’un et de l’autre ensemble. Était-ce un air, ou des couplets, ou des strophes ? Était-ce une période unique et plus libre, à la fois symphonique et vocale, qu’emportait de plus en plus haut un souffle de plus en plus fort ? Tantôt c’étaient les plaintes d’Orphée ou les imprécations de Donna Anna, l’héroïsme de Léonore, l’angoisse de Cassandre, la douleur de Didon ou celle de Sapho, toutes les deux mourantes ; tantôt c’étaient les adieux de Wotan ou l’extase d’Iseult ; mais c’était toujours une de