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PIERRE. — Hé ! je n’ai pas compris un mot à ses discours ! L’Évangile, le Sermon sur la Montagne, l’inutilité des églises… Mais où donc prierons-nous, à ce compte-là ?
MARIE. — Voilà précisément le plus affreux ! Il voudrait tout détruire et ne rien mettre à la place !
PIERRE. — Et de quelle façon cela a-t-il commencé ?
MARIE. — Cela a commencé l’année dernière, à la mort de sa sœur. Il est devenu tout sombre, s’est mis à ne parler que de mort, et puis il est tombé malade. Et, après sa maladie, il s’est trouvé entièrement changé…
PIERRE. — Et comment ?
MARIE. — Eh bien ! il est devenu absolument indifférent pour toute sa famille, et n’a plus eu en tête que le Nouveau Testament. Il le lisait toute la journée ; la nuit, il se relevait pour le lire, au lieu de dormir, prenant des notes et copiant des passages… Un jour, il s’est confessé et a communié ; mais, tout de suite après, il a décidé que c’était chose inutile de se confesser, ou même d’aller à l’église.
… PIERRE. — Mais si Nicolas refuse de reconnaître l’Église, que fait-il donc du Nouveau Testament ?
MARIE. — Il dit que nous devons vivre d’après la doctrine du Sermon sur la Montagne, et abandonner tout ce que nous possédons.
PIERRE. — Et comment veut-il que nous vivions, nous-mêmes, si nous donnons tout aux autres ?
ALEXANDRA. — Oui, et puis où donc le Sermon sur la Montagne nous ordonne-t-il d’échanger des poignées de main avec nos valets de chambre ? Il y est bien dit : Heureux les doux ! mais je ne me souviens pas d’y avoir lu un seul mot sur ces poignées de main !
MARIE. — Naturellement, il se montre fanatique dans sa nouvelle manie, comme il l’a toujours fait lorsqu’il a pris quelque chose à cœur. Une fois, ç’a été la musique, une autre fois les écoles… Mais cela n’est pas pour rendre ma lâche plus facile !
PIERRE. — Qu’est-ce qu’il est allé faire en ville, aujourd’hui ?
MARIE. — Il ne me l’a pas dit : mais je sais qu’il est allé assister au jugement de nos voleurs de bois. Les paysans ont coupé des arbres dans notre forêt.
PIERRE. — Ces magnifiques grands pins que vous avez là ?
MARIE. — Oui. Ils ont été condamnés, et leur appel doit se juger aujourd’hui. C’est pour cela que Nicolas est allé en ville.
ALEXANDRA. — Il va leur pardonner, et demain ils viendront abattre tous les arbres de votre parc !
MARIE. — Ma foi, ils ont déjà commencé. Tous les pommiers sont brisés, les champs piétinés. Il est résolu à tout laisser faire.
PIERRE. — C’est renversant !
ALEXANDRA. — Et voilà précisément pourquoi je dis qu’il est indispensable que Marie intervienne. Si les choses continuaient de ce train, toute la fortune y passerait. J’estime que ta qualité de mère t’impose le devoir de prendre des mesures.
MARIE. — Mais que puis-je faire ?
ALEXANDRA. — Comment ? Ce que tu peux faire ? Mettre un terme à ces