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I

Echangeant avec Jules Favre les ratifications du traité de Francfort, le 21 mai 1871, Bismarck lui dit que désormais les deux gouvernemens « ne devaient plus songer qu’aux moyens de rapprocher deux nations qui ont un puissant intérêt à vivre en bons rapports ; » mais il ajoute aussitôt que, s’il a annexé deux provinces, c’est pour « se mettre en garde contre de nouvelles agressions de la France. » Déjà, en pleine guerre, quelques jours après Sedan, il disait, dans une circulaire diplomatique datée de Reims, le 13 septembre 1870 : « A la suite de la guerre, nous devons nous attendre bientôt à une nouvelle agression de la part de la France et non à une paix durable, quelles que soient d’ailleurs les conditions que nous lui imposions. La France considérera toute paix comme une trêve et nous attaquera de nouveau pour venger sa défaite actuelle aussitôt qu’elle se sentira assez forte, soit par ses propres ressources, soit avec l’aide d’alliances étrangères. » Le chancelier cherche à préparer l’Europe aux conditions qu’il compte imposer au vaincu ; il prélude au rôle dans lequel il va se donner en spectacle. Il croit, ou feint de croire, que la politique française est toute de fourberie, que la France fera la guerre en 1874, avant le versement des trois derniers milliards. Il le dit au marquis de Gabriac, le 13 août 1871 ; il le répète à tout propos à Gontaut-Biron ; il le télégraphie à d’Arnim. Il saisit tous les prétextes pour se plaindre, pour se poser en victime du « chauvinisme » d’un peuple agité et belliqueux qui ne rêve qu’agression et revanche. Il prend plaisir à piétiner le vaincu, à l’humilier, à lui faire sentir l’aiguillon de la défaite. A d’Arnim il dit : « Le sentiment du droit est en France si complètement éteint même dans les cercles où l’on cherche de préférence les amis de l’ordre politique et de la justice garantie... » Quel contraste avec « le degré d’éducation morale et le sentiment de droit et d’honneur qui sont particuliers au peuple allemand[1] ! » Avec les Français qui se permettent tout, tout est permis. Gontaut-Biron à Berlin, Thiers à Versailles,

  1. A d’Arnim, 10 décembre 1871. — Pour toute la première partie de notre travail nous avons beaucoup emprunté à la belle Histoire de la France contemporaine de M. Gabriel Hanotaux. Nous la citons ici une fois pour toutes.