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qu’il veut la guerre plus qu’il ne la veut en réalité ; » il saisit l’occasion d’ameuter l’Europe contre l’homme qui menace sans cesse de troubler la paix ; il prend à témoin les puissances des persécutions et des tracasseries que nous subissons depuis cinq ans, et de notre patience. Bismarck est pris à son propre piège. La Russie, puis l’Angleterre, lui font entendre nettement qu’elles souhaitent que la paix ne soit pas troublée : le Tsar ne le permettrait pas. Cette « résurrection de l’Europe » est un premier pas vers la restauration d’un équilibre politique. L’Allemagne a voulu un triomphe trop complet, une Europe où elle ne trouverait plus de résistances ; son attitude envers la France a fait sentir à tous les peuples et à tous les souverains ce que pèserait l’hégémonie allemande s’ils la laissaient s’affermir. Ils ont enfin compris qu’ils ont commis une grande faute en 1871 et qu’une France libre et forte est un élément indispensable à la tranquillité et à l’indépendance de toutes les nations. Equilibre ou hégémonie allemande, c’est l’alternative que le duc Decazes pose au bon moment devant les grandes puissances, comme M. Rouvier la posera pendant la Conférence d’Algésiras. La France est rentrée dans le concert européen ; le « blocus moral » est levé. La tactique de Bismarck va se modifier. Au Congrès de Berlin, il adoucira pour les représentans de la France ce froncement de sourcils qui fait trembler l’Europe. Il recourra bien encore, lorsqu’il en aura besoin pour stimuler le Reichstag (vote du septennat militaire, 1887), à ses procédés habituels (affaire Schnæbelé) ; il déchaînera de temps à autre ses « reptiles. » Mais l’heure des brimades est passée. Le Culturkampf est fini ; Léon XIII a remplacé Pie IX sur le trône pontifical ; Bismarck est allé à Canossa ; les succès électoraux du parti républicain ont installé la République en France ; une ère nouvelle va s’ouvrir pour nous, celle de la politique d’expansion. Le principal effort de Bismarck jusqu’à sa chute va s’appliquer à la politique intérieure ; à l’extérieur, il se contentera de négocier et de fortifier la Triple-Alliance tout en retenant la Russie, par d’habiles contre-assurances, dans l’amitié de l’Empire allemand. Le relèvement de la France est désormais accepté comme un fait ; elle a repris son rang et son rôle en Europe. Bismarck s’accommode de la politique d’équilibre.

Cette volonté de « revanche » qu’il prêtait à la France pour servir ses propres desseins a été, certes, dans le cœur de tous