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les Français au lendemain de nos désastres. Elle était le geste naturel, spontané, de riposte, l’appel à l’avenir, en face des abus de la force. Sous cette forme simple, populaire, elle n’est jamais entrée dans le cerveau, — je ne dis pas dans le cœur, — d’aucun homme d’Etat responsable. Elle a vécu, elle vit, comme un idéal sacré dans l’âme de la nation, mais elle n’a jamais été, elle ne peut pas être, le programme d’un gouvernement. Celui qui aurait affirmé, ou seulement laissé dire, que son but, sa raison d’être, était de préparer une guerre de « revanche » qu’il faudrait entreprendre dès que la préparation en serait achevée, eût fait mettre la France au ban de l’Europe comme perturbatrice de la paix. Le mot de Gambetta que l’on a condensé dans la formule fameuse : « Pensons-y toujours, n’en parlons jamais, » exprime donc une vérité politique qui s’imposait à tous les gouvernemens. « J’ai limité ma tâche politique, écrivait déjà Thiers à Saint-Vallier le 29 janvier 1872, à ce que j’ai appelé la réorganisation de la France et j’y ai fait entrer la paix d’abord, le rétablissement de l’ordre, l’équilibre des finances et la reconstitution de l’armée. » Il voit cependant plus loin et vise plus haut : s’entretenant avec d’Arnim, en mai 1872, il affirme avec conviction sa volonté de maintenir la paix, puis il ajoute : « Après bien des années, quand la France aura retrouvé ses forces, sa tendance prédominante devrait être nécessairement celle de chercher une compensation pour les pertes subies, et si, un jour, l’Allemagne devait être entraînée dans des embarras avec d’autres puissances, le moment serait venu de régler ses comptes, mais cela ne voudrait pas dire que dans un pareil cas la France devrait se lever contre l’Allemagne. Il ne serait pas impossible d’envisager que l’Allemagne, alors, serait disposée à acheter l’alliance française par des compensations qui pourraient rendre une guerre inutile. » C’est déjà la « justice immanente » de Gambetta. Ces paroles infiniment sages ont servi de règle de conduite à presque tous les hommes d’Etat qui se sont succédé au département des Affaires étrangères et à la tête du gouvernement français. Tant il est vrai que les mêmes « nécessités permanentes » imposent, même aux esprits les plus dissemblables, des solutions analogues. Le duc Decazes ne tient pas un langage différent. Il s’applique avec insistance à toujours distinguer le retour de la France à son rang de grande puissance, son relèvement, d’avec une politique d’agression et