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politiques, avec l’étranger, il mesure mieux les responsabilités qui pèsent sur celui qui gouverne. Il sait que, dans l’entourage de Grévy, on le représente comme l’homme de la guerre, que la presse bismarckienne annonce qu’il mettra le feu à l’Europe. Ce qui fait sa force dans le pays et comme chef de parti, devient une faiblesse dès qu’il s’agit d’assumer le ministère. Il ne peut pas donner à la France ce qu’elle espère de lui ; la situation intérieure est trop instable, l’Europe trop défiante, l’Allemagne trop formidable. À mesure que l’expérience l’éclaire, à mesure aussi qu’il se trouve engagé plus avant dans la bataille des partis, son point de vue se modifie.

Après nos désastres, Gambetta et, avec lui, le parti républicain, pensaient que la France, — comme la Russie après 1856, — devait se recueillir, reconstituer ses forces, se renfermer dans sa douleur et dans sa protestation, et, puisque les puissances l’avaient abandonnée dans sa détresse, ne se mêler ni à leurs différends, ni à leurs accords : on sentirait, au vide que ferait son absence, toute la place qu’elle tient dans l’Europe civilisée. Ainsi l’exigeaient non seulement « la réserve et la dignité du vaincu, » mais aussi son intérêt. Dans l’incident de 1875, le rôle de la diplomatie française fut défensif ; mais son succès eut pour effet de réintroduire la France dans la politique européenne. Bientôt certains indices révèlent que l’Europe est à la veille d’une crise de la « question d’Orient. » Des difficultés s’annoncent en Tunisie. L’influence des hommes de la finance cosmopolite, de la grande industrie et du haut commerce fait décider qu’une Exposition Universelle s’ouvrira à Paris en 1878. L’autorité de Gambetta va grandissant ; après le 16 mai, son influence comme chef de la gauche est prépondérante. Quelle va être son attitude en face de cette situation nouvelle ? Il hésite longtemps, un douloureux débat se livre en lui-même. L’Europe allait tenir de solennelles assises au Congrès de Berlin : la France accepterait-elle l’invitation du prince de Bismarck et participerait-elle au Congrès dans la capitale même du vainqueur de 1870 ? Les deux solutions paraissaient défendables. L’abstention pouvait sembler séduisante : quelle autorité pourraient avoir les résolutions d’un Congrès d’où la France serait absente ? Et quelles concessions ne lui ferait-on pas pour obtenir sa signature ? Mais, d’autre part, l’abstention paraissait pleine de périls. Le Congrès, sans nous, se tiendrait contre