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de « revanche. » Mais, en même temps il cultive avec sollicitude les germes de sympathie qui deviendront plus tard, pour nous, des alliances ou des amitiés. Après l’incident de 1875 et l’intervention de la Russie et de l’Angleterre, il écrit au comte d’Harcourt, son ambassadeur à Londres : « Vous aurez un grand parti à tirer de cette première affirmation de vaillance de la part de l’Angleterre. Je persiste à moins compter sur elle que sur la Russie. Mais je n’ai jamais cessé d’espérer entre ces deux puissances un rapprochement qui nous permit de marcher avec elles sans choisir entre elles, et il me semble que l’événement est en train de me donner raison. » Outre un vœu que l’avenir devait réaliser, ces fortes paroles contiennent une grande leçon : il n’est pas, en politique, d’opération plus délicate, plus dangereuse, que d’opter. Bismarck a dit, dans ses Pensées et Souvenirs, les angoisses que lui causa la nécessité d’une option entre la Russie et l’Autriche, et comment il en recula, tant qu’il put, l’échéance. Une fille qui a deux galans, si elle se décide à épouser l’un, n’a souvent plus qu’un ennemi jaloux et un mari peu empressé. Mais quand le moment décisif, le moment « psychologique)) est venu, il, faut opter résolument. Au Congrès de Berlin, peut-être le gouvernement français a-t-il laissé échapper l’occasion. Notre alliance avec la Russie, que les événemens préparaient, aurait pu s’en trouver avancée de treize ans.


II

La contradiction, d’ailleurs superficielle, entre les sentimens vivaces dans les cœurs français et les nécessités quotidiennes de la politique, on la retrouve à l’état aigu dans le cœur et dans la vie publique de l’homme qui, toute sa vie, est resté, pour la masse du peuple français, l’incarnation même de la défense nationale, celui qui n’avait pas désespéré de la patrie, Gambetta. Ses harangues enflammées, l’ardeur rayonnante de son patriotisme ont marqué pour la vie toute une génération. L’homme de la « revanche » c’était lui ; dans l’opinion du peuple, son ascension au pouvoir n’avait pas d’autre raison d’être que le retour au bercail national des provinces perdues. Là gît le secret de sa force. Il le sait ; mais tandis qu’il s’avance dans les avenues du pouvoir, qu’il prend contact avec les réalités