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les relations directes que Gambetta fut à deux reprises sur le point d’avoir avec Bismarck. Sur la foi des conversations du comte Henckel de Donnersmarck, Gambetta se représente le chancelier comme accessible à des sentimens de justice ; peut-être espère-t-il le convaincre que le véritable intérêt de son pays n’est pas de garder, malgré elles, des provinces françaises de cœur. Henckel sert d’intermédiaire ; Gambetta ira à Varzin ; il abordera son terrible interlocuteur ; il saura de lui, à la veille du Congrès de Berlin, ce que la France peut en attendre ; le « monstre » l’attire. En lisant le célèbre discours de Bismarck au Reichstag, le 19 février 1878, il éprouve une satisfaction dont on a quelque peine aujourd’hui à s’expliquer le motif :


Voici, écrit-il à Léonie Léon, que se lève dans cet homme l’aurore radieuse du droit. C’est à nous à présent de profiter des circonstances, des dispositions, des ambitions rivales, pour poser nettement nos plus légitimes revendications, et de fonder, d’accord avec lui, l’ordre nouveau. Je suis donc au comble de mes vœux, la paix assurée pour plusieurs années, l’Exposition universelle mise hors de péril ; les puissances en demeure de se rapprocher de la France si elles veulent agir et même si elles veulent seulement délibérer et maintenir.


Curieux mélange d’illusions et de vues vraiment politiques ! Gambetta est allé, peu de temps auparavant, à Rome ; il s’y est abouché avec les chefs des « libéraux ; » Bismarck a souhaité et aidé, au moment du 16 mai, la victoire du parti républicain. Il semble bien que Gambetta ait envisagé la possibilité d’une entente avec Bismarck, sur le terrain de la lutte contre le « cléricalisme » et de l’union des partis libéraux de toute l’Europe. « C’est un rapprochement et une collaboration avec la France que le Père Joseph du Gouvernement actuel et le chef de la majorité vous proposera, » écrit Henckel à Bismarck. Le rappel de Gontaut-Biron (décembre 1877) est une satisfaction donnée au chancelier comme gage des bonnes dispositions de Gambetta. L’entrevue avec Bismarck est fixée au 30 avril 1878. Au dernier moment, Gambetta se dérobe. Il comprend qu’en France l’opinion n’est pas mûre pour admettre que l’homme en qui elle incarne l’idée de « revanche » puisse se rendre en Allemagne pour une entrevue avec Bismarck. Il y eût risqué son prestige, et qu’y aurait-il gagné ? Bismarck a très habilement jeté l’hameçon ; Gambetta s’est approché de l’appât, mais il ne l’a pas happé. Voilà l’essentiel. Il reste, — et c’est ce qui