Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous intéresse aujourd’hui, — que Gambetta a envisagé, dès 1877, la possibilité de relations directes, peut-être même d’une entente avec l’Allemagne. Au moment où il a pris la résolution de faire quitter à la France le deuil, où elle s’isolait, pour rentrer dans le monde, il comprend, avec un sens politique très avisé, qu’il n’est pas possible à une grande nation de jouer son rôle en Europe, sans se trouver en rapports, en tractations avec l’Allemagne. Loin de feindre de l’ignorer, c’est à elle qu’il s’adresse d’abord, non pas certes pour rechercher son amitié, ou pour lui apporter une renonciation nouvelle à nos revendications nationales, mais pour traiter avec elle, comme avec les autres puissances, d’égal à égal, des grands intérêts de l’Europe et du monde. Ne pas éviter systématiquement, si elle vient à s’offrir, l’occasion de se trouver d’accord avec l’Allemagne sur un point quelconque de l’échiquier politique, lui faire même une concession opportune dans une affaire où nos grands intérêts ne soient pas engagés, et obtenir d’elle, en compensation, des avantages de même nature, ce n’est pas l’attitude d’un peuple humilié, c’est celle d’un pays conscient de sa force et de son bon droit.

En résumé, la volonté de refaire une France forte qui puisse un jour retrouver les provinces que la guerre lui a fait perdre, domine et inspire la conception politique de Gambetta. Comme les nerfs qui commandent à tout le corps, sans apparaître à l’extérieur, ce vouloir profond devra être le régulateur, le coordonnateur de tous les actes extérieurs et intérieurs de la politique française. Avec l’Allemagne les rapports seront courtois tout en restant dignes, sans que soit exclue la possibilité d’ententes partielles ou locales, sans même que soit écartée la perspective lointaine d’un accord sur la question à laquelle on pense toujours sans en parler jamais. Avec les autres puissances, la France entretiendra des rapports aussi bons que possible, sans se lier à aucune, mais en gardant la liberté de s’associer avec l’une ou avec l’autre, selon les conjonctures et l’intérêt du moment, pour toute opération qui puisse lui être avantageuse ou la rapprocher du but lointain qu’il ne faut jamais perdre de vue. A l’intérieur, « l’édit de Nantes des partis » unira tous les Français dans une commune volonté inspirée par le même patriotisme. Telles sont, pour ainsi dire, les trois étages de la méthode politique à laquelle l’âme ardente