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L’insatiable Eros me torture et m’oppresse ;
La Sirène éperdue est toute volupté.


Il s’approche Maintenant, à l’orée de la Grotte, dans le silence religieux de la Nature attentive, l’ascète au froc monacal a élevé la voix :


C’est l’ineffable Amour, c’est Jésus qui m’amène ;
Il a pris en pitié la déchéance humaine :
Disparais ! Obéis au Dieu pur, au Dieu fort ;
Et fille de la Mort, rentre enfin dans la mort.


Mais Leucosia le brave, le raille, s’efforce de le tenter, lui ouvre les bras :


Je suis, dis-tu, la Mort ?... Ils me nomment la vie,
Ceux qui sous mes baisers expirent en aimant...


Vains efforts ! Lazare a traversé la tombe ; il sait que la femme en est la pourvoyeuse, et son horreur pour cette auxiliaire de Satan éclate en invectives :


Cause de nos malheurs, raison de nos forfaits.
Perdition du monde, ô Femme, je te hais !


Brutalement il s’arrache à l’étreinte, repousse la suborneuse, la contraint à courber le front, et alors étendant les mains :


Chair toujours palpitante, ô corps d’ignominie,
Astaroth, Leucosie, ou quel que soit ton nom.
Va chercher dans l’enfer tes amans, ô démon !


Un exorcisme !... Et soudain la forme de cette charmeresse se transmue en de légères vapeurs ; impalpable fluide, elle se dissout, s’évanouit dans l’espace, disparaît. Pourtant, Leucosia chante encore ; mais ses propos de luxure sont devenus de religieux cantiques : « Hosannah ! Gloire au Christ triomphateur, à l’Amour né de la souffrance, au désir sans trêve, au bonheur sans fin : au seul baiser de l’Eloa !... » Pan, le vieux Pan n’est plus ; les temps sont accomplis : l’Agneau sans tache va régner sur la terre.


Telle était, en une sèche analyse, la donnée de ce curieux poème, sorte de mystère médiéval à prétentions philosophiques. Tentative trop originale, il versait souvent dans l’extravagance,