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Leucosia la sirène attirait par sa voix les peuples de la Campanie. Elle chantait, et énamourés les païens de la rive italienne voguaient vers elle pour la mieux entendre. Tous en recevaient bon accueil, car sirène ou océanide, ce genre de demoiselles ne se montre jamais exclusif, ni bégueule. Doux propos, caresses, enlacement de la dame, ravissement de l’extase sensuelle, puis engloutissement dans les flots, rien n’était épargné à ces soupirans. Gaillarde toujours inassouvie, cette Leucosia pourvoyait ainsi son harem, — ou plutôt la mélodieuse donzelle était un symbole : le Mal, l’attrait de la Chair, la séduction, le péché, la Femme...

Adonques, Parthénope la luxurieuse s’était vêtue de deuil, Justinus, le préfet du prétoire ; Cécina, le vainqueur des Parthes ; Agathoklès, l’aède favori d’Apollon ; des juristes, des pontifes, surtout des philosophes étaient allés joyeux vers les baisers de la Sirène, et pas un d’eux n’était revenu. Abomination de la désolation ! Chaque jour, en plaintives théories, jeunes filles, épouses, matrones gravissaient les degrés des temples qu’habitent les simulacres secourables : « Prends pitié de nos maris, Athénè, inspiratrice de la sagesse, et toi, vierge Artémis, défends nos fils contre l’impureté. » Sanglots inutiles ! Eros est le plus puissant des dieux ; rien ne peut émousser l’aiguillon de la concupiscence : l’Abîme continuait à recevoir sa proie...

Or, voici qu’aux pâleurs de l’aube, et marchant sur la mouvante immensité des mers, un homme est apparu, — d’aspect farouche, de laideur répugnante ; un cynique Diogène en haillons. Sa barbe déjà grisonne, et son crâne est rasé suivant le (rite des pastophores, prêtres de l’Egypte... Isis, ô bonne déesse, aurais-tu compassion de la cité dolente ?... Mais non ; en sa robe de grossière étamine, ce vagabond des ondes n’adora jamais l’idole, amante, épouse et mère. C’est encore un symbole : Lazare, l’ami de Jésus, le revenant d’entre les morts, le précurseur des résurrections ; Lazare qui personnifie le dédain pour la Femme, le mépris de la Chair, la victoire de l’Ame, la Rénovation...

Leucosia l’a vu, et le désir de mettre à mal cette chasteté insolente a mordu son cœur de courtisane : elle appelle :


Épandant sous les cieux une étrange clarté,
Toi que bercent les flots et que le vent caresse,
O pâle voyageur, viens à l’enchanteresse !