Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vint s’écraser sur les dalles. Alors, ce fut un sauve-qui-peut général ; on fermait les magasins ; les femmes s’effondraient à terre en criant.

« Puis, avec un grand bruit, le clocher s’affaissa sur lui-même, comme une chose décrépite qui n’a plus la force de se soutenir. Les débris, en tas haut de quinze mètres, roulèrent jusqu’à l’église, sans l’endommager.

« Les décombres ont éventré la muraille du Palais Royal et englouti la Loggetta.


« Venise, 14 juillet 1902. »

Le roi d’Italie, en visite chez l’empereur de Russie, apprit le désastre par le télégraphe, et fit répondre de Péterhof :


« Sa Majesté connaissait déjà l’événement qui attriste Venise.

« Elle apprend avec une vive satisfaction qu’il n’y a pas eu de victimes humaines, et vous envoie ses remerciemens.

« Général PONZIO VAGLIA, ministre de la Maison royale. »


Comment décrire la consternation des Vénitiens ? Resté indifférent à tant de tremblemens de terre, le campanile avait vu crouler beaucoup d’autres tours. Un mois auparavant, le clocher de Corbetta (Lombardie) était tombé de ses 85 mètres de haut. Mais, des tours de cette espèce, l’Italie en possède des milliers. Le Campanile de Venise était plus qu’un clocher, c’était un monument historique, c’était « le campanile » par excellence. Les Vénitiens le considéraient comme éternel et ils disaient d’un événement invraisemblable : « Telle chose arrivera quand le campanile tombera. » Aussi sa chute fut-elle un deuil public. Les socialistes suspendirent un grand meeting annoncé pour le soir, en vue des élections municipales. D’accord avec le cardinal Sarto (aujourd’hui Pie X), le syndic remit à la première quinzaine d’août les fêtes si populaires du Rédempteur. On arrêta les travaux du pont de bateaux, que l’on jette chaque année sur le canal de la Giudecca, pour relier la ville à l’église du Rédempteur, dont la coupole sert de point de ralliement à la foule murmurante des pèlerins Vénètes. L’église devient le centre des fêtes, le point de départ des processions, bannières blanches déployées, avec dais cramoisi et chasubles d’or étincelant au soleil.

Glissant en masses compactes sur le quai des Esclavons, dans