Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Attifée d’un maillot très collant, couronnée de coquillages, enguirlandée d’algues marines, sans autre bijou qu’une bague à perles couplées, elle exhibait avec une savante impudeur l’harmonieux dessin de ses formes provocantes... Diva ?... Pourquoi donc avec sa chevelure dorée, ses yeux noirs chargés d’impures promesses, ses lèvres sensuelles et leur sourire énigmatique, cette jeune personne si peu vêtue ressemblait-elle à ces figures libidineuses qu’autrefois j’avais reluquées dans les cachettes du Musée secret de Naples ? A la voir étalant son apparente nudité, on eût dit de l’une de ces images lascives qui décoraient certains atriums de Pompéi : la Pandêmos ou la Vénus Meretrix, antiques patronnes de la courtisane. Etrange, en vérité !... Mais basta ! déesse ou femme, elle était fort belle, et la Beauté, au dire des anciens, constitue par soi-même une morale...

Et pourtant ce n’était pas à cette superbe académie, rarissime morceau d’atelier, que s’adressaient tant de bravos : on acclamait surtout la cantatrice. Quelle voix admirable ! Soprane ou contralte à sa guise, tantôt la néréide rappelait Christine Nilsson par ses trilles cristallins et vibrans, tantôt l’Alboni par sa basse profonde et veloutée... Une Sirène dans un corps d’Aphrodite ? où diable l’imprésario Rodriguez avait-il découvert si capiteuse merveille ?... Diva ?... Très grande artiste, cette inconnue ! Par quelles notes éclatantes elle avait lancé son audacieux défi à l’importun conteur de sornettes, l’apôtre du « Dieu chaste et fort : »


Je me ris de ton Dieu, — moi qui suis le Péché !


Les rappels cependant se succédaient : « Diva ! Diva ! !... » Pour la troisième fois elle revint, flanquée de son imprésario, le frétillant Carlos Rodriguez, dispensateur des Menus Plaisirs monégasques. Un délire secouait la salle ; tout le parterre était debout ; les hommes jouaient de la canne ou trépignaient sur le plancher ; aux balcons, les femmes agitaient leurs mouchoirs. Mais, superbe d’indifférence, la déesse daignait à peine incliner le menton. « Eh oui ! semblait-elle dire, vous me trouvez belle ; je suis très belle en effet. Vous aimez les richesses de ma voix ; ma voix, je le sais, est magique... Or çà, qui de vous, messieurs, princes, grands-ducs, pachas, veut acquérir l’Océanide ? Calculez, faites vos prix, proposez vos enchères. Un morceau de roi ! Combien la Sirène ?... »