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cause de la nature peu résistante du terrain. La fameuse Tour de l’Horloge de Castelfranco, à Trévise, menace de crouler, comme en 1637. La façade de la cathédrale d’Udine tend à se détacher des murs. Le rocher qui sert de piédestal à la cathédrale millénaire d’Ancône commence à s’ébouler. Le campanile de San Francisco, de Florence, est en danger. Le temple de la Concorde, à Girgenti, menace ruine. Le campanile de San Silvestro, à Rome, est d’une solidité douteuse. En présence de ces nouvelles alarmantes, l’édilité socialiste de la commune de Molinella donna la note gaie, en défendant de sonner les cloches, pour épargner au vieux clocher le risque d’un effondrement.

Devant les craintes si justifiées des archéologues, nous dirons aux Vénitiens : Conservez le plus longtemps possible votre patrimoine sacré. Retardez la chute de vos monumens. Mais quand ils tomberont, n’essayez pas de les relever. « Admirons et encourageons ceux qui consolident Venise ; mais, craignons les « restaurations » qui sont presque toujours des dévastations. » Referez-vous le Palais Ducal, lorsque le temps aura éventré la muraille saumon qui regarde Saint-Georges Majeur ? Auriez-vous reconstruit Saint-Marc si, par un malheur auquel on ose à peine songer, son campanile s’était couché sur lui, crevant la voûte, brisant les colonnes, écrasant les coupoles ? Heureusement, cette infortune irréparable a été épargnée à l’humanité.

En arrivant à Venise, avant de penser aux morts, M. Boni songea aux monumens debout et il prit des mesures urgentes, entre autres, l’enlèvement immédiat de 300 000 kilogrammes de livres qui surchargeaient l’étage supérieur du Palais des Doges. Cela fait, il attaqua, avec des précautions infinies, le tas énorme des décombres. Les travaux s’exécutèrent sous sa direction personnelle ; car il resta toujours à son poste sur ce nouveau champ de bataille, comme au Forum pendant les fouilles des tombes préromuliennes. La Marangona retrouvée intacte fut transportée dans la cour du Palais Ducal, tandis que le baptistère de Saint-Marc donnait asile à l’ange de la coupole. Des ouvriers de choix, procédant avec circonspection, enlevaient brique par brique, à la recherche des débris de la Loggetta, le moindre fragment étant nécessaire à la reconstitution du petit chef-d’œuvre de Sansovino (1540), Protomaestro des Procuraties de Saint-Marc. Quand il l’eut terminé, ses appointemens de 80 ducats d’or furent, par faveur spéciale, portés à 200 ducats.