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ploient sous le faix. A l’intérieur, les locataires israélites, successeurs de ces hauts fonctionnaires, ont abattu les cloisons, afin de créer des musées de gros ameublement : nègres d’ébène sculpté, grandeur nature, que s’arrachent les Anglais, consoles massives avec abondance de hauts reliefs ; canapés cerise au bois doré dignes des nababs indous ; pendules monstres, armoires à glace monumentales, lustres pesans à pendeloques de cristal (???) lié, joie des beys de Tunis et des Ottomans jeunes et vieux. D’où, une surcharge qui parfois atteignait 35 kilogrammes par centimètre carré, limite maxima compatible avec la sécurité.

La commission prescrivit des allégemens considérables, avec défense absolue de modifier dorénavant l’état des lieux. Une mesure plus radicale eût consisté à liquider les expositions permanentes du premier étage des galeries. Mais ces locaux se louent fort cher, et la municipalité n’est pas riche. Fort heureusement. Venise, moins pauvre, ne serait peut-être plus que l’ombre d’elle-même. Déjà, les ingénieurs ont barré le Grand Canal par un pont métallique à treillis, qui s’enracine avec ironie devant le Palais des Beaux-Arts. Que ne rêverait line édilité en face d’excédens budgétaires ? « Elle ouvrirait certainement de larges voies, voudrait mener les trains jusqu’à la Dogana et jeter un pont sur le canal de la Giudecca[1]. » Nous en avons chez nous un exemple frappant. L’administration française n’a-t-elle pas saccagé la ville arabe d’Alger ? N’a-t-elle pas percé de boulevards les quartiers indigènes, éventrant les portiques, démolissant les moucharabiés, trouant les impasses mystérieuses, pulvérisant des blocs entiers de maisons ? N’a-t-on pas parlé un instant d’abattre la mosquée de la Pêcherie ?

A Venise, la chute du campanile marqua le signal d’une reprise générale des travaux de consolidation. Les architectes chargés de prolonger l’existence des monumens n’avaient que l’embarras du choix.

De Venise, la panique s’est répandue à l’Italie tout entière. Des commissions techniques dressèrent des listes de monumens suspects, et volontiers, on aurait demandé une enquête pour chacun des clochers. Les investigations amenèrent des découvertes importantes. Le palais ducal de Mantoue inspire des craintes. La basilique Palladina, de Vicence, est en péril à

  1. M. Maurice Barrès.