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qu’elle permet de soumettre aux fins humaines. On sait que les deux grands fondemens des religions primitives furent la magie et l’animisme. La magie était la science des premiers peuples, l’animisme était leur philosophie. L’homme ne pouvait concevoir les choses extérieures qu’à sa propre image et ressemblance : il leur prêtait donc la vie et leur donnait une âme. La foudre qui tombait sur sa tête lui paraissait avoir des intentions hostiles ; le soleil qui venait l’éclairer chaque matin avait des intentions bienveillantes. Or, tout étant animé dans les forces de la nature, il s’ensuivait logiquement que le moyen de se concilier ou de se soumettre les forces naturelles était de les traiter par des prières ou des menaces, pas des incantations, par des paroles ou gestes d’une vertu magique. La magie et l’animisme réunis ont formé les religions antiques ; puis, peu à peu, de la magie est sortie la science, de l’animisme est née la philosophie. Dans les sociétés à venir, ces deux élémens subsisteront sous une forme ou sous une autre ; au sein des masses, la forme de la science gardera quelque chose du merveilleux qui frappe l’imagination ; la forme de la philosophie populaire conservera aussi quelque chose de l’animisme antique. L’humanité a toujours modelé les puissances naturelles ou surnaturelles sur les formes de sa propre pensée et de sa propre vie, comme Hélène, pour honorer la déesse de la Sagesse, lui offrit une coupe d’ambre moulée sur son sein.


V

Dans son livre intéressant et sincère sur la Morale scientifique, M. Albert Bayet a très logiquement tiré les conséquences du système qui ramène entièrement la morale à la science des mœurs, à la sociologie et à la religion sociale. Ces conséquences ne sont autres que la réduction des idées morales, comme telles, à des illusions dont la société profite. Ces idées ne sont plus d’ailleurs, selon lui, que des « idées mortes, » et c’est le titre même de son dernier ouvrage. M. Durkheim, rejetant de telles conséquences, a répondu : — Qu’est-ce qui empêche « de considérer les obligations qui s’imposent à nous comme des faits, aussi définis et aussi réels que les faits de la nature matérielle ? C’est un fait que nous nous sentons, que nous sommes obligés, et obligés de telles et telles façons. Il n’est rien de plus contraire