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que rien ne faisait prévoir, ou même pour débarquer sans raison. Ils imposent leur volonté et se font un plaisir de l’embarras où ils mettent le commandement. Le 25 janvier 1910, le Corte, paquebot postal, n’a pu effectuer son départ de Marseille pour la Corse. Quelques instans avant de lever l’ancre, le capitaine recevait les deux billets suivans : « Vu la violente tempête qui règne, l’équipage de la machine a l’honneur de faire part au commandant qu’il ne prend pas la mer. » — « L’équipage du pont prévient le commandant que l’équipage ne part pas à cause de la fureur du temps. » Or, il est de notoriété publique et les statistiques de l’Observatoire météorologique en font foi, que le temps, s’il n’était pas beau, ne présentait aucun danger pour un bâtiment comme le Corte.

C’est là un cas typique ; on pourrait en relever beaucoup d’analogues. En voici un autre, d’un caractère plus inquiétant encore. Le vapeur Étoile franchissait le détroit de Messine, au milieu de courans violens, entouré de navires et gouvernant à peine, tant sa vitesse se trouvait réduite. Tout à coup, les chauffeurs abandonnent le travail. Pour éviter un malheur, les officiers durent prendre la pelle et remplacer les mutins. Les plaintes renouvelées du capitaine, de l’armateur et du Comité central ne reçurent même pas de réponse et aucune suite ne fut donnée par la Marine à cette affaire.

Les incidens sont de toutes sortes. En 1907, l’électricité ayant fait défaut dans les chaufferies d’un paquebot de la Compagnie Fraissinet, les chauffeurs refusent d’allumer les lampes à huile de secours. Ailleurs l’équipage prétend sérieusement qu’on ne saurait considérer les pommes de terre comme légumes. Les soutiers, désignés pour prendre le service, se déclarent malades, contre l’avis du médecin ; et, sous peine d’éteindre les feux par mer démontée, on exige du commandant sa parole d’honneur qu’il fera le silence sur ces actes d’indiscipline, etc.

La partialité du gouvernement contraint enfin le syndicat des armateurs à se retirer de la Commission mixte instituée pour régler amiablement divers litiges. La lettre de son président, divulguée par la presse, rappelant la liberté qu’on laisse à l’indiscipline, ajoutait : « Un certain nombre d’armateurs ont préféré taire les faits dont ils ont eu à souffrir, de peur de voir leur clientèle se détourner d’eux, tant ces faits étaient graves et présentaient de dangers pour la sécurité du bâtiment. »