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On peut alléguer que ces difficultés tiennent à des causes momentanées, résultent de la mauvaise politique sociale que nous subissons, et disparaîtraient avec celle-ci. Elles procèdent en effet dans une large mesure des excitations des politiciens qui opposent partout le travailleur maritime au grand patron. Malheureusement, le régime anémiant de l’Inscription maritime prête à ce jeu : il ne laisse guère subsister, pour soutenir notre commerce, que la puissante entreprise capitaliste, en face d’un prolétariat sans initiative. Dans une marine prospère, la vie, l’esprit d’entreprise, viennent, au contraire d’en bas et de toute la masse. Ce sont les marins de métier, instruits par une longue pratique, les capitaines qui, en Angleterre, créent des affaires, mettent en train l’armement d’un bateau, lui trouvent des élémens de trafic. L’entreprise repose donc là sur un homme sorti du milieu qui travaille, et s’efforçant de monter à la fortune par la mise en jeu de toutes ses connaissances techniques et commerciales. Notre personnel, endormi dans la quiétude du monopole, assuré de sa retraite à cinquante ans, n’a pas assez de ces ambitions utiles ; et c’est en partie pourquoi notre armement ne se renouvelle pas.

Retenu par les conditions légales dans sa carrière et ses modestes mais sûres espérances, limité par les mêmes lois dans ses effectifs, protégé de la concurrence soit étrangère soit nationale, ce personnel a été fait stable artificiellement, stable dans sa composition et dans son esprit, routinier même, cantonné dans sa compétence étroite. Notre marine se développe en vase clos. Elle reçoit peu d’étrangers. Si les marins français étaient plus libres de prendre du service au dehors, peut-être en rapporteraient-ils des habitudes, des impulsions nouvelles. Il se fait peu d’échanges et de personnes et d’idées du côté de l’extérieur, au travers de l’épiderme national, par ces portions mobiles du sol français que sont les bateaux : ni émigration, ni immigration. Point de débarquemens dans les ports étrangers, ni même la liberté d’y payer des salaires. Les portes du navire sont closes ; elles n’ouvrent que sur le sol français.

Si, du moins, elles s’y ouvraient largement à tous nos nationaux ! Il n’en est rien. La mer semble interdite aux Français comme un jouet dangereux. Pour les garder de leurs propres imprudences, on ne leur donne licence de naviguer qu’après apprentissage officiel. Ne s’en trouverait-il pas pour pratiquer