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créer une capitale à la taille de l’Empire dont elle serait la tête, — à la fois centre d’une nation et métropole de l’univers.

C’était la Rome d’Auguste à refaire de toutes pièces, mais dans un autre sens et sur de nouveaux frais. La ville de l’Église devait l’emporter en noblesse sur toutes celles du monde, faire oublier même son passé : tout en elle devait présenter le caractère de ses destinées surhumaines. De tels projets risquaient de demeurer chimériques, si Jules n’avait rencontré à propos l’homme de la circonstance. C’était un architecte qui n’était plus tout jeune, et qui se trouvait alors à Rome sans situation. Il avait fait toute sa carrière dans l’Italie du Nord, qu’il avait couverte de monumens d’une fantaisie délicieuse, semant partout les traces de son charmant génie et de son invention féconde et imprévue. Nul n’égalait ce merveilleux créateur de décors. Quoiqu’il se plût à manier les styles les plus divers, toute chose sous sa main revêtait une grâce poétique, le même voluptueux sourire. Il allait à l’extrême audace une exquise pureté du goût ; le dessin de ses chapiteaux, de ses moindres moulures, l’avait fait surnommer le « profilatore. » Quant à ses fresques, qu’on a retrouvées naguère sous le badigeon, au château de Milan, elles respirent la grandeur propre à l’école de Piero délia Francesca et de fra Carnovale. Ce personnage, rendu libre par la chute de Ludovic le More, riche, sans engagement, et nullement pressé d’en contracter de nouveaux, vivait depuis quelque temps à Rome, solitaire, errant tout le jour dans les quartiers dépeuplés de la ville, furetant parmi les colonnes et les débris des temples, prenant des mesures et relevant les proportions de la ville antique. Et voilà que l’artiste sortait renouvelé de ce bain de Jouvence ; renonçant tout à coup à sa manière fleurie, il venait de produire pour un autre Rovere ce palais Riario (aujourd’hui, la Chancellerie) qui, même après le palais Farnèse, reste le modèle accompli de la dignité romaine.

C’est ce maître, Bramante, que Jules II allait trouver à point nommé pour le servir : les deux hommes étaient bien créés l’un pour l’autre par un décret de la Providence. On sait malheureusement peu de chose sur Bramante. Raphaël l’a peint à deux reprises dans la Chambre de la Signature : une fois dans la Dispute, la seconde fois dans l’École d’Athènes, sous les traits d’Archimède : toute une jeunesse émerveillée admire, penchée sur lui, les combinaisons du calcul et la féerie des nombres. L’artiste rend très bien ici un des côtés les plus remarquables de ce grand esprit : la puissance d’attraction, l’ascendant singulier qu’exerçait autour d’elle cette âme