Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chantiers, dans sa capitale sens dessus dessous, que bousculaient sans relâche ses 2 500 maçons : — « Une petite armée ! disait-il ; on pourrait passer une revue ! » — et qui surgissait tout à coup, tiare en tête et crosse au poing, se dérangeant en pleine procession, pour jeter le coup d’œil, du maître à des travaux en cours. C’était dans le sang ; Sixte IV n’avait-il pas fait abattre devant lui, séance tenante, l’immeuble d’un propriétaire récalcitrant ? C’est qu’avec cette furia, cette manie de bouleversemens, personne ne vivait tranquille : on n’était jamais sûr, en revenant chez soi, de trouver sa maison en place. L’aventure arriva, au temps de Jules II, à un cardinal que nomme M. Rodocanachi. Quant à la reconstruction de Saint-Pierre, il n’y avait qu’une voix pour réprouver ce sacrilège ; Bramante ne s’appelait plus que le guastante, le rovinante (le « brise-tout, » le « faiseur de ruines »). A sa mort, on imagina qu’il se présentait au ciel. « Ah ! c’est toi, lui disait saint Pierre, qui m’a démoli mon église ? On ne passe pas ! » Le dialogue se poursuit avec une fantaisie charmante ; l’ensorceleur finit par amadouer son Cerbère. On pourrait croire qu’il est content ? Mais le pli professionnel ne quitte pas pour si peu : à peine entré, le voilà qui veut moderniser l’autre monde : « Fi ! s’écrie-t-il, quel Paradis vieux jeu et vermoulu ! Je m’en vais vous en refaire un autre. Pouvez-vous vivre dans ce taudis ? Premièrement, au lieu de ce vilain raidillon, nous allons établir une route carrossable. Et si vous ne me laissez pas faire, tant pis pour vous : j’irai au diable et je bramantiserai l’Enfer ! »

Ce sont des plaisanteries : elles ne tirent pas à conséquence. La modernisation de Rome n’a pas laissé d’avoir des inconvéniens plus sérieux. L’un est que, pour subvenir aux Irais de la basilique, on se mit à vendre les indulgences : commerce dangereux, et d’où s’ensuivit la Réforme. D’autre part, on n’expliquera jamais d’une manière satisfaisante le sacrifice inconcevable du Saint-Pierre de Constantin ; le scandale reste sans excuse : et je ne sais s’il est absous par la colonnade de Bernin et la miraculeuse coupole de Michel Ange. Avec Bramante commence la destruction systématique de la Rome médiévale. Sans doute, on ne pouvait exiger de la Renaissance beaucoup de sympathie pour l’art du moyen âge. Mais il y a peu d’exemples d’un anéantissement si complet ; c’est l’effacement méthodique de douze cents ans d’histoire. Rome, qui excelle aux accommodemens et aux concordats amiables, aurait pu, dans cette occasion, trouver une solution moins révolutionnaire.

Mais voici qui est plus étrange. La Renaissance est un retour à