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Rome se faisait une industrie de débiter ses marbres et de s’exploiter comme une carrière ; elle couvre le monde de ses débris. Les statues, les merveilles de Paros et de Pentélique couraient un danger plus grave encore : leur calcaire plus fin avait le funeste avantage de produire une chaux incomparable. Ainsi périt, du XIIIe siècle au XVe, presque toute la statuaire romaine. Les belles statues qui décorent la maison des Vestales ont été retrouvées en morceaux dans un four, bourré jusqu’à la gueule de sarmens et de copeaux, avec une perfection qui dénote une longue expérience.

Sans doute, vers le temps où nous sommes, on attache déjà plus de prix aux restes de la sculpture antique. La découverte des Trois Grâces, de l’Apollon, du Laocoon, avertit la bande noire qu’il y avait plus de profit à tirer du marbre que de la chaux. Les papes commençaient leur collection du Belvédère. On déploie dans les fouilles, à la chasse des statues, la patience et l’âpreté des chercheurs de trésors ; et de plus belle on continue de saccager les ruines. C’est au XVe siècle que disparurent les derniers restes du temple de Jupiter Stator et le portique intact du temple de la Concorde. On eut le temps de ronger encore une moitié du Colisée. Pour percer sa rue du Borgo, Sixte IV fait sauter la pyramide de Sestius ; pour construire le nouveau Saint-Pierre, Jules II livre à Bramante le Forum et la Voie Sacrée ; pour le palais Farnèse, on tire les matériaux de Saint-Paul hors les Murs. Et là ne finit pas le long martyre de Rome : la pioche des bourreaux ne s’arrête pas un moment de tout le XVIe siècle. Elle remblaie les routes avec les tombeaux qui les bordent, dépèce le soubassement du mausolée de Cecilia Metella, pour finir par faire tomber, froidement, le Septizonium de Sévère.

En vérité, la Renaissance nous a-t-elle donné autant qu’elle nous coûte ? Ces grands bâtisseurs ont été de terribles démolisseurs ; leur fièvre de créer n’a d’égale que leur rage de détruire. Et alors, de ce grand carnage, de tous ces débris exhumés et meurtris, commence à s’exhaler un sentiment nouveau : une majesté de tristesse plane sur cette poussière des siècles ; l’homme, pour la première fois peut-être, découvre la poésie des ruines. Ce ne sont pas des Français, quoi que Chateaubriand prétende, qui ont l’honneur de l’invention. Montaigne, du Bellay ne sont pas les premiers qui se soient écriés devant les pierres de Rome :


Sacrés coteaux, et vous, saintes ruines !...


D’autres, Pétrarque, Pogge, avaient dit avant eux la plainte qui