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Disgraziati ! Il nous met en retard : nous ne rencontrerons plus le padre.

— Ce pauvre Gigi est donc bien malade ?

Ahimé ! La Teresa se désole : mon petit frère est ensorcelé.

Per Dio ! Elle a logé son enfant dans la maison de la diablesse !

Masaniello gratifia la « diablesse » d’une injure ordurière, puis s’élança vers la ville, à la recherche du Pierrot... Et le temps s’écoulait. Le soleil se déversait brûlant ; sous les piqûres des mouches les chevaux se cabraient, tandis que, vermineuse canaille, aveugles clairvoyans ou paralytiques ingambes, une douzaine de mendians me harcelaient de leurs doléances. Enfin, criant et pestant, Cecco revint :

— Le voici !...0n prenait tranquillement son vermouth, au Café Cavour.

— Toujours à crédit !... Il doit de l’argent à toutes les trattorie du pays : trois cents lire, au moins !... Qui paiera ses dettes ? La lupa !

— Fainéant !... Ruffian de sorcière !... Plus crapuleux encore que ceux de la Mala vita !

Bientôt je vis apparaître un monsieur de très noble tournure, grand et bel homme d’environ trente ans, aux cheveux bien frisés, dont les moustaches en crocs semblaient menacer le ciel. Sa figure de bellâtre devait être quelque peu moricaude, mais une couche de fard blanc la voulait rendre irrésistible. Coiffé d’un feutre à plume de faisan, chaussé de bottes vernies, il était vêtu d’un complet de flanelle blanche, et sur la boutonnière de son veston se détachaient la pourpre, le safran, l’azur d’une étonnante décoration. Évidemment c’était le «Pierrot. » Il s’avançait avec nonchalance, tenant haut la tête, cambrant son torse athlétique, faisant tournoyer sa badine, fredonnant, barytonnant, vocalisant. « L’éclair de son sourire... Il balen del suo sorriso... » chantonnait-il avec maintes fioritures ; motif, rengaine du Trovatore : la romance de l’amoureux Luna.

D’un geste théâtral, et pareil à d’Artagnan lorsqu’il soulève son chapeau à panaches, le monsieur décoré me salua :

— L’illustre Blondel, je crois... L’invité de notre chère Diva ?