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Ville Intangible, sanctuaire qui aurait dû leur être inviolable, ils ont construit des ponts tubulaires, même des sky-scrapers à l’américaine. L’art des Bramante ou des Primatice leur parait une vieillerie peu pratique, et ils préfèrent imiter nos Durand de Paris, les Michel de Berlin, surtout Jonathan, le Yankee. O Chicago, cité des superbes porcheries, avec tes bank offices, tes hôtelleries à nègres, tes cheminées gigantesques, tes perchoirs de trente étages, tes capharnaüm où grouillent affairés les business men, — que tu dois leur sembler belle ! Ils n’ont pu cependant accomplir partout le jeu complet de leur vandalisme ; parfois leur amour du banal n’a profané qu’à demi, et la Voie Appienne, aujourd’hui coupée par des chemins de fer, et bordée de murailles, ressemble à quelque rue de Bagnolet.


Ainsi tout fuit, ainsi tout passe ;
Ainsi nous-mêmes nous passons.


A Naples où j’arrivai, le 13 août, je ne m’attardai pas à muser ; Chiaia, la Via Toledo, ni le Pausilippe n’ont plus guère de secrets pour moi ; je montai donc dans un train de banlieue et, vers les deux heures du soir, descendis à Castellamare.


Dans la cour de la station une calèche attendait. Son cocher, grand escogriffe de la Riviera, portait une livrée anglaise ; mais son compagnon de siège était attifé de plus pittoresque façon. A voir son bonnet de soie écarlate, sa chemise bouffante au col rabattu, sa large ceinture, son pantalon court et ses escarpins, on eût dit d’un Masaniello d’Opéra, célébrant le retour de l’aurore : « Amis, la matinée est belle... » Je reconnus sans peine l’équipage de la Campofiori.

— Attention, Cecchino ! dit l’homme à livrée anglaise... Voici le Français !

Cecco, garçonnet d’une quinzaine d’années, sauta à terre, vint à ma rencontre : « Eccellenza ! » m’installa dans la voiture, puis ils se remirent à bavarder :

— Cours avertir le « Pierrot » que nous allons partir.

— Où vais-je le dénicher ?... Au Café de l’Indépendance ?

— Non ; plutôt au bureau de la Loterie. C’était, hier, le jour du tirage ; ses numéros ne sont pas sortis, et notre propre à rien doit chercher noise à l’employé du Lotto.