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Angelo me révéla aussi qu’il était né à Salonique, et descendait des Césars byzantins. Comnène ou Paléologue ? mon homme ne savait au juste ; mais il affirmait qu’Alexis, Michel ou Constantin, ses aïeux avaient manié le feu grégeois, occis l’Arabe et l’Ottoman. Lui préférait des lauriers moins sanglans : il était « chanteur-tragédien. » Durant quelques minutes, ce négroïde, héritier des Autokrators, savoura les souvenirs de ses triomphes ; puis, brusquement :

— Connaissez-vous le nom d’un certain M. Marcellus ?

— Marcel Lautrem, l’auteur de Leucosia ?... Il fut un de mes plus chers amis.

— Célèbre, ce monsieur ?... Immortel de votre Académie ? Je hochai la tête : non, mon camarade n’avait pas revêtu l’habit vert.

— Quoi ! pas même de l’Académie !... Vit-il encore, votre malchanceux écrivain ?

— Hélas !... Mlle Diva vous a donc parlé de Marcellus ?

— Jamais !... Tiens, tiens ! ils se sont connus ?... Pourtant, j’admire chaque jour, dans le palais de notre princesse, les nombreux cadeaux, hommages rendus à sa beauté ; mais aucun d’eux n’évoque la mémoire de ce M. Lautrem. Je consulterai mon catalogue.

— Informez-vous, monsieur di Sant’Angiolo, et peut-être serez-vous amplement renseigné... Pourquoi me parlez-vous de mon ami ?

— Le théâtre San-Carlo va remonter Leucosia.

— Que m’annoncez-vous ?... On remonte Leucosia !

— Oui, dans six semaines... Mlle de Campofiori a désiré, exigé même qu’on représentât cette pièce.

— Je devine ses raisons. Mlle Diva perçoit tous les droits d’auteur.

— Avec moi, s’il vous plaît. J’ai traduit, enjolivé, ou pour mieux dire entièrement refait cette rapsodie informe. Notre capiteuse Vénus y chantera le rôle de la Sirène, et votre serviteur, celui de Lazare.

— Vous débutez avec elle à San-Carlo ?

— Je l’espère : Diva m’a demandé. Son directeur ne peut rien refuser à une cantatrice, étoile entre les étoiles. Au pis aller, elle imposera mon engagement.

Et d’un geste cynique, le drôle aux belles moustaches me