L’étrange et pâle visage d’Esther Mosselman demeura souriant :
— Lautrem ?... Marcellus ?... Je ne connais pas.
— Là ! que vous disais-je ? s’écria le triomphant Sant’Angiolo... Ce nom ne figure pas sur la liste.
Un assez long silence suivit l’éhonté mensonge. Diva m’observait, moqueuse... Pensait-elle à Lautrem ?
— Voici, reprit-elle tranquillement, quel sera le programme de votre séjour parmi nous : peu de travail et beaucoup de plaisirs ; nous sommes au pays de la douce fainéantise. Toute ma maison vous appartient. Allez, venez, commandez à mes gens, disposez de mon équipage, saccagez mes parterres, faites votre cour à Rosina, soyez même exaucé par cette vierge sans pareille : je ne vois rien, ne veux rien savoir. Chaque jour, votre couvert sera mis à ma table, car vous daignerez, j’espère, vous asseoir parmi les camarades.
— Et demain, je commence votre portrait.
— Non ; demain, repos !... Cette nuit, nous devons aller en bande joyeuse à Capri ; mon yacht est appareillé. On voguera, en chantant des barcarollfs ; on verra le soleil naissant dorer les flots ; on glorifiera par des cantiques variés la Nature, le Grand Pan, la Vénus, lille de l’Onde...
— Tu ferais mieux de rester dans ton lit, déclara Sant’Angiolo.
— Trêve d’observations saugrenues ! J’irai, cette nuit, dans la Grotta Verde, rendre visite à Leucosia. Telle est mon idée, et je n’aime pas que l’on contrecarre mes caprices. Tous nos amis me feront escorte ; toi aussi, tu m’accompagneras, mauvaise tête. Surtout, aie soin d’emporter ton appareil de photographie ; je veux figurer en sirène sur les affiches de San Carlo... Viendrez-vous avec nous, monsieur Blondel ?
— Volontiers, chère madame.
— Merci. Je compte sur votre exactitude : le rendez-vous est chez moi, à onze heures précises. Maintenant, bon appétit, et au revoir !... Offre-moi ton bras, héritier des Comnènes.
Et jasant, riant, chantonnant, tous deux s’acheminèrent vers le Palazzo.
— Voudriez-vous entrer dans mon bureau ? me dit alors M. Sullivan... J’ai à vous parler très sérieusement.