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diffamer, outrager, avilir : toi, mon cher, cultive ton jardin... » Et le temps s’écoulait. La nuit, complètement tombée, rosoyait, mais chaude, étouffante, lumineuse, toute diamantée d’étoiles ; aucun frisson de brise n’effleurait les feuillages des cèdres ou des magnolias ; de capiteuses fragrances s’exhalaient des parterres : je m’assoupis.

Tout à coup, de furieux aboiemens me réveillèrent.


XIX. — EFFET DE NUIT

Le Palazzo s’était ranimé. Eclairé brillamment, son rez-de-chaussée épandait de blanchâtres traînées de lumière ; sur les sombres verdures de la pelouse s’étalaient de laiteuses clartés, mais les profonds massifs se faisaient plus ténébreux encore.

On chantait, là-bas ; deux comédiens répétaient leurs rôles. Par les fenêtres ouvertes, la voix de Diva m’arrivait vibrante, pathétique, savamment nuancée, admirable. Elle déclamait un récitatif, et je reconnaissais cette mélopée : l’incantation de Leucosia, lorsqu’elle aperçoit Lazare :


Toi que bercent les flots ; toi que le vent caresse...


Ce superbe morceau n’avait pas été compris autrefois ; aurait-il plus de succès, demain, sur une scène italienne ? Peut-être ; mais je me rappelais le scandale de Monte-Carlo : Lautrem bafoué ; les plaisanteries, les sifflets, les éclats de rire, tandis qu’Esther Mosselman se pavanait sur les décombres du drame symboliste... Malheureux Marcellus !


O pâle voyageur, viens... C’est l’enchanteresse !...


Soudain, les aboiemens se rapprochèrent : les molosses devaient donner la chasse à un maraudeur. Et soudain encore, les hurlemens de rage se changèrent en gémissemens ; les deux bêtes poussaient ces longs et lugubres sanglots du chien, quand il a peur... Que se passait-il dans les jardins Campofiori. J’allai m’accouder à la terrasse ; mais j’avais la tête brouillée par le trop « capital » sherry : ces choses d’Espagne sont pleines de traîtrises...

Tiens ! qu’était cela ?

C’était, vision lointaine et fantastique, un homme vêtu d’une étoffe noirâtre, robe ou manteau, qui, debout sur les gazons,