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— Qu’appelez-vous ses bacchanales ?... Vous êtes lettré, monsieur Sullivan.

— Ancien élève de Rugby School !... Tous les polichinelles que Mlle Diva héberge sont de la pure canaille. Des nuits de Babylone ! Ils jouent aux cartes, se disputent, piaillent, dansent, tirent des feux d’artifice : la grande noce, comme vous dites à Paris. Ne s’avisent-ils pas, maintenant, d’effaroucher par leur indécente tenue les dames et les demoiselles, mes honorables pensionnaires ? Ils se promènent dans les jardins en costumes de théâtre, y répètent des scènes amoureuses, s’étreignent et s’embrassent, font les Juliette et les Roméo. Le plus odieux de ces drôles est un mime qui étudie au clair de lune ses rôles de spectres ou de paillasses. Aussi, trois mères de famille m’ont quitté, hier, avec leurs enfans ; deux misses et leurs fiancés, — des clergymen ! monsieur, — m’ont annoncé leur prochain départ : tous mes autres cliens vont déguerpir. Non ; un pareil scandale ne saurait durer ; je vais intenter un procès... Hétaïre !... Femme de rien, sortie de rien. Allant moins que rien, n’ayant peur de rien, cette Campofiori est l’opprobre, la ruine de notre malheureuse contrée !

On dressa mon couvert, et je pus déguster, sans autres discours, les friandises que m’avait envoyées Diva. Mon dîner achevé, je m’allongeai dans un rocking-chair, allumai un cigare, puis m’enfonçai dans la rêveuse griserie du havane.

La nuit tombait. Au loin, de pâles clartés apparaissaient sur le Pausilippe ; le phare du Môle San Gennaro piquait déjà les demi-ténèbres ; le Vésuve n’était plus qu’une forme indéterminée d’où montaient de rougeâtres vapeurs, et dans le vaste silence de l’heure religieuse, la mer chantait sur la plage, caressant les rochers de la « marina » sorrentine.

Presque sommeillant, je laissais vagabonder ma pensée... «... Esther Mosselman ;... Marcellus ;... Davison ;... Gaétan di Campofiori ;... Sant’Angiolo ;... combien d’autres dont j’ignorais les noms !... Des baisers, d’abord ; puis des larmes ; puis du sang !,.. Astaroth !... Eh ! bon Dieu ! que t’importait, Blondel ? Etais-tu le mari de cette courtisane, son frère, son cousin, son directeur de conscience ? Exigeais-tu de tes modèles un certificat de rosière ? Leur demandais-tu autre chose que la beauté ?... Va, mon ami Pangloss, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Laisse donc notre triste humanité médire, calomnier,