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de ces quadratures délicates, exquis travail de la Grande-Grèce, qu’on rencontre souvent dans les villas pompéiennes : oiseaux et feuillages, entrelacemens de roses, alcyons ou colombes se becquetant sous le frisson des myrtes. Une fresque hiératique occupait, à elle seule, le fond du sacellum. Bien conservée, celle-là, car j’en pus aisément déchiffrer l’inscription votive :


Ven... Ast... Leucos... « A Vénus Astarté, Leucosia. »


... Cette Vénus n’était autre que l’Astaroth, patronne de Sidon et de Tyr, symbole de la Beauté charnelle, l’habitante des « Haute Lieux, » l’idole qu’avait encensée Jézabel, l’abomination de l’Éternel Dieu. Phénicienne ou peut-être Juive, l’hétaïre à voix de sirène, Leucosia que coiffait une mitella sémite ouvrait donc sa maison aux adorateurs d’Astarté. Ils étaient nombreux en Italie, car l’Orient vaincu avait par ses divinités conquis sa conquérante...

... Longtemps je demeurai comme en extase. Lui aussi, le maître peintre, auteur de cette fresque, avait dû croire en Astaroth, et la lubricité de son pinceau n’était qu’un acte de foi. La Tyrienne semblait vivre encore, telle qu’aux jours où les Lydie, les Lalagé, les Phormions asiatiques venaient lui brûler des parfums, puis pratiquaient ses rites. Pareille à un manteau d’or, sa fauve chevelure tombait jusqu’à terre ; les traits de son pâle visage étaient d’une admirable pureté, et les formes de son corps s’épanouissaient impeccables. Mais quelle férocité dans ces lèvres sensuelles, cette bouche riante, ces yeux noirs caressans ! Debout en sa nudité triomphante, appuyant une main sur la pierre conique, emblème d’Ela Gabala générateur des mondes, la Vénus surgissait des flots pour devenir la volupté de la Nature, et la Nature lui adressait les cris de ses désirs. Des faunes, des sylvains, des tritons, images de l’humanité dans les champs, dans les bois, sur les mers, entouraient l’Anadyomène, la conjurant de leur ouvrir ses bras... Et tandis qu’en le ravissement de tout mon être je la contemplais, les imprécations des nabi d’Iaveh, interprètes du Très Haut, du Très Pur, du Très Saint, me revenaient pourtant à la mémoire : « Dieux de fiente, déités d’ordure !... »

Soudain je me sentis défaillir ; mon regard s’obscurcit ; mes jambes se dérobèrent sous moi : lourdement je m’effondrai sur les genoux. Alors, — effrayante hallucination, — je vis