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avait contracté le vice de l’opium, fréquentait les fumeries, et il est mort dans un hôpital, demandant le rêve, hurlant pour obtenir ses bienheureuses visions. Hélas ! m’aurait-il légué quelqu’une de ses tares cérébrales ?... Je continue mon récit...

... M’avançant, j’examinai avec curiosité les deux peintures qui flanquaient l’étroit péristyle. Elles représentaient des Sirènes, l’une jouant de la double-flûte, l’autre tenant une lyre et chantant : toutes deux portaient sur leurs coiffures marines un bizarre diadème, la mitella des affranchies syriennes. Corrodées par les cendres, s’effritant de toutes parts, ces peintures étaient en piteux état. Cependant, en dépit d’une telle dégradation, on pouvait lire, écrit en capitales grecques, le mot LEUCOSIA...

...Leucosia ? Était-ce le nom de la sirène ou celui de la courtisane qui jadis, à l’abri du cento de lin écarlate, avait offert à chacun et à tous son hospitalité passagère ? Je fus renseigné bien vite. L’atrium où je pénétrai n’était qu’une écœurante obscénité. De lubriques emblèmes, d’ordurières priapées en décoraient le pourtour, et sur les marches du tablinum on avait érigé un autel, à triple figure de bouc. Ce prostibule était une sorte de temple clandestin où d immondes initiés avaient adoré autrefois quelque divinité d’infamie, la Pandêmos, la Vénus-Athor, ou la Mylitta... Et le soleil dardait ma tête de ses rayons ; les stucs, les marbres coruscans m’envoyaient d’aveuglantes étincelles ; et toujours, les ongles de mon compagnon m’obligeaient à regarder...

... Maintenant une apparence de vie semblait traverser la mort de cette villa déserte. J’entendais vaguement, murmure étrange flottant dans l’air, des voix cadencées de femmes ; un chant rythmé, pareil à quelque cantique nuptial ; le son des flûtes, des harpes, des sistres, des crotales. On m’appelait, de nouveau ; doucement, tendrement, on prononçait mon nom : « Marcel !... Dédaigneux Marcell... Il faut enfin aimer I... L’heure des épousailles est venue... Entre dans le sanctuaire : Astaroth t’a choisi, Marcel. » Trop ému, ayant chassé toute crainte, je cherchai des yeux la suborneuse, mérétrice aux paroles dorées... Eh mais ! là-bas, quelle était cette chambre où miroitait une superbe fresque ?...

... C’était, profonde cella pavée d’indécentes mosaïques, une chapelle mystérieuse où se dressait un trépied de bronze destiné à recevoir l’encens. A droite et à gauche, les murs étaient ornés