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de vent n’arrivait du large ; l’eau dormait sous nos pieds, verte et stagnante ; l’air saturé de chaudes buées pesait lourdement : un écrasant silence !

Diva nous attendait dans une assez vaste chambre dont le plafond se courbait en forme de coupole. L’écho y résonnait persistant, et les moindres bruits étaient répercutés comme sous les arceaux d’une cathédrale. La Campofiori se tenait debout, presque à fleur d’eau, sur un étroit rocher que tapissaient des fucus, goémons et algues marines : Sirène ou Astarté, l’ensorcelante prometteuse d’amour posait avec grâce.

Se conformant aux indications du photographe, Gennaro nous arrêta en face de la cantatrice, à dix ou douze mètres de distance.

— Carina, dit alors le peu discret sigisbée... je suis à tes ordres. Mes plaques sont préparées : hâtons-nous.

Dégrafant sa sortie de bal, cette « chérie, » si impudemment exploitée, s’offrit à nos regards dans son costume d’océanide... Quelle déconvenue ! L’apparition que j’espérais gracieuse n’était que déplaisante. Sous les jeux d’une verdâtre lumière le pâle visage de Leucosie avait pris des teintes cadavéreuses ; son maillot de couleur glauque semblait vêtir une morte, ou plutôt on eût dit d’une hiératique statue de jade, dressée dans quelque sanctuaire bouddhique, et démontrant aux agités de ce monde la désespérance des trois néans.

— Quelle horreur ! murmura l’impitoyable Rosine... Le diable qui sort d’un bénitier !

Sant’Angiolo braqua son appareil, se coula sous le voile des photographes, et prononça le sacramentel : « Ne bougeons plus. »

— C’est fini, ma toute belle ! Allons rejoindre nos compagnons.

Mais la Campofiori se souciait fort peu des camarades ; elle remit son manteau, puis m’adressant la parole :

— Passons maintenant, monsieur Blondel, à un autre exercice. Je vais chanter mon récitatif de Leucosia. Vous qui savez si parfaitement composer un tableau, observez mes gestes, et conseillez-moi.

— Bien volontiers, princesse.

— Nous sommes en scène : le jour se lève ; la Sirène aperçoit Lazare, l’appelle, et désire l’entraîner dans l’abîme. Dois-je